Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

critique - Page 4

  • Le temps où on enfilait des perles***

    L'auteur de cette "première BD", Colocho, retourne quelques années en arrière lorsqu'il glandait en compagniewebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,colocho,vide cocagne,perles,indiens,lyon,beaux-arts d'une bande d'amis. Lui-même était alors censé étudier aux Beaux-Arts de Lyon, mais les Indiens d'Amérique et leurs coutumes le fascinaient bien plus que les cours dispensés par les profs.

    "Enfiler des perles" s'entend ici aussi bien au sens propre qu'au sens figuré puisque l'un des types que fréquente Colocho reconstitue pendant son temps libre des coiffes traditionnelles d'Indiens brodées de perles.

    Grâce à un dessin dont l'expressivité est renforcée par l'exagération de certains mouvements et parties du corps, Colocho magnifie les tribulations dérisoires d'une bande d'étudiants qui s'efforcent de trouver un sens à leur vie en dehors des sentiers battus... et qui confondent les monts d'Ardèche avec le Far-West.

    L'influence de la culture américaine est assez nette sur la petite bande ; néanmoins le récit de leurs aventures n'est pas imprégné de la violence qui transpire de certaines chroniques décrivant des milieux similaires aux Etats-Unis.

    Colocho balance entre l'apologie d'une forme de marginalité et le constat d'échec de ce chemin "alternatif" ; cette hésitation nuit au scénario, qui manque un peu de rythme.

    L'autodérision est bien présente : par exemple à propos de la maladresse du narrateur vis-à-vis des femmes; mais, même "enfouie", quelques années plus tard la passion de l'auteur pour les Amérindiens persiste comme un moment de grâce unique dans son existence.

    Le temps où on enfilait des perles, par Colocho, éd. Vide-Cocagne, 2018.

  • Veni, vidi, vici*

    Appât du gain et manque d'imagination vont souvent de pair. La tentative de relancer la série "Alix"webzine,bd,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,alix,veni vidi vici,casterman (Casterman) en est un bel exemple.

    Le succès commercial inespéré de "Blake & Mortimer" a inspiré aux directeurs commerciaux des maisons d'édition de BD franco-belge de tenter le même coup avec "Corto Maltese", "Tif & Tondu", "Ric Hochet", ou encore "Alix", série à laquelle il était reproché il n'y a pas si longtemps de cultiver la nostalgie de l'empire romain.

    Tout ça sent la naphtaline à plein nez et coïncide logiquement avec l'entrée de la BD au musée.

    Avec "Veni, vidi, vici" (citation extraite des pages roses du Larousse) l'éditeur drague les vieux fans des péplums de Jacques Martin en imitant le dessin maladroit des premiers albums. David B., de son côté, a pondu un scénario indigent ; il fait penser à l'un de ces cours de "civilisation romaine" -le plus souvent fastidieux-, dispensés par l'Education nationale. Dès la page 2, on se force à lire les dialogues que David B. a dû se forcer à écrire (acculé par les dettes ?).

    Le ressort des meilleurs albums d'Alix ("Le Dernier Spartiate", "Les Légions perdues", "Le Tombeau Etrusque"...) n'était pas l'érudition ou la précision historique, mais comme les meilleurs "péplums" cinématographiques, la dramaturgie.

    Les auteurs de BD sont peut-être à plaindre à cause des conditions dans lesquelles ils exercent leur métier aujourd'hui... mais les lecteurs aussi sont souvent victimes d'opérations commerciales indélicates !

    "Veni, Vidi, Vici" (les Aventures d'Alix), par G. Albertini & David B., 2018.

  • J'ai pas tué de Gaulle***

    Le maître du "polar agricole" en BD*, Bruno Heitz, s'est amusé à introduire dans cet opus une page d'Histoirewebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,bruno heitz,de gaulle,polar,bastien-thiry,petit-clamart,charlotte corday : la tentative d'assassinat du général de Gaulle au Petit-Clamart en banlieue parisienne (1962).

    Cette bande dessinée nous ramène à l'époque où de Gaulle n'était pas encore le modèle politique qu'il est devenu aujourd'hui (par la grâce des médias), mais au contraire un chef d'Etat contesté et largement impopulaire pour différentes raisons.

    Le personnage principal campé par Bruno Heitz, Jean-Paul, est une crapule de bas-étage qui ne se contente pas de vivre de son métier de mécanicien automobile mais préfère s'enrichir en participant à différentes magouilles : escroquerie à l'assurance, chantage... De là ce petit escroc va se retrouver embringué dans un complot politique qui le dépasse, par le biais d'un camarade de classe, Fabien, transposition du colonel Bastien-Thiry, maître d'oeuvre du projet d'assassinat baptisé "Opération Charlotte Corday" (en hommage à l'assassin de Marat).

    Pour faire plaisir à une tante "communiste qui apprécie de Gaulle", le petit escroc va faire échouer le complot in extremis et se racheter ainsi une conduite - du moins aux yeux de sa tante.

    On peut se demander s'il n'y a pas un peu d'ironie de la part de l'auteur à faire sauver de Gaulle par un petit malfrat, tandis que Bastien-Thiry était un bon père de famille, officier dans l'armée de l'air et diplômé de l'école polytechnique... A moins qu'il n'ait voulu suggérer que les assassinats politiques sont souvent commis par des "purs" ?

    B. Heitz excelle comme pas deux dans la narration en BD, à la fois grâce à la clarté de son style et des dialogues crus et réalistes.

    Le roman n'empiète pas trop sur la réalité des faits : le sang-froid des occupants de la DS mitraillée, qui échappèrent miraculeusement aux quatorze balles retrouvées dans la carrosserie, est fidèlement rapporté. Cela dit l'association de l'idéaliste Fabien/Bastien-Thiry et de Jean-Paul-la crapule n'est guère plausible. Le commando était composé exclusivement de soldats ou d'anciens soldats fanatiques proches de l'OAS, persuadés que de Gaulle faisait le jeu du communisme (?).

    J'ai pas tué de Gaulle, mais ça a bien failli... par Bruno Heitz, éd. Gallimard, 2010.

    *"Un privé à la cambrousse".

  • Dessiner en plein air***

    La petite histoire de la peinture en plein air n'aura plus de secret pour le lecteur de cet ouvrage webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,dessiner,peinture,plein air,louvre,gravure,eugène blérydocumentaire... et qui plus est de saison, puisque le soleil frappe moins fort (les artistes de plein air sont tributaires -ô combien- de la chaleur ou du froid excessifs).

    L'ouvrage traite en particulier de la première moitié du XIXe siècle, sans doute charnière du point de vue de cette discipline. Le dessin en plein air sur le motif n'est pas une innovation du XIXe siècle et des impressionnistes ; on conserve de très belles études de fleurs des champs par A. Dürer, dont les couleurs à l'aquarelle sont à peine altérées par les siècles.

    Cependant le XIXe siècle a fait d'un exercice multiséculaire un art à part entière, à la suite des XVIIe et XVIIIe siècles où l'on discernait déjà les prémices de ce nouveau genre.

    Bien sûr la peinture en plein air sur le motif est liée à l'essor technique : si dessiner en plein air a toujours été possible, y peindre représente une gageure sur le plan technique. Il faut pouvoir transporter un matériel léger (les tubes de peinture le sont) et exécuter rapidement sur des toiles de petite taille.

    Plus difficile encore, la lithographie d'après le motif, revendiquée par de très rares artistes dont un certain Eugène Bléry, graveur de paysages de la région parisienne, dont l'application ne compense pas le manque de grâce.

    On voit poindre l'écueil de la "performance" en art, qui guette les artistes au sein d'une civilisation de plus en plus technicienne. Il saute aux yeux que le "coin de campagne" et les tournesols deviennent un "sujet" au moment même où l'urbanisation et l'industrialisation réduisent la nature à un lieu de villégiature charmant.

    L'intérêt de ce travail documentaire est accru sous l'angle des rapports entre l'art et la technique qu'il permet d'envisager. Dès le début du XIXe siècle, la production industrielle commence en effet de se substituer à l'art. Les progrès accomplis par la technique photographique au XIXe siècle forcent ainsi les peintres de paysages à s'interroger sur leur pratique. Tandis que la photographie stimule certains et fait naître des vocations, d'autres la perçoivent au contraire comme une menace pour la poésie ; d'autres encore s'en accommodent et savent éviter le piège du détail et de l'anecdote tendu par la photographie.

    Les croquis des bords de fleuve (Seine, Oise...) exécutés par Daubigny depuis la petite embarcation spécialement prévue à cet effet, "Le Botin", plaident en faveur de la spontanéité du dessin. S'il est une dimension de la poésie à laquelle le développement de la technique contribue peu, c'est la simplicité.

    Dessiner en plein air - Variations du dessin sur nature dans la première moitié du XIXe siècle, ouvrage collectif, ed. Musée du Louvre, 2017. 

     

  • Le Monde magique de la bande dessinée**

    "Le Monde magique de la bande dessinée" est le meilleur antidote aux discours pédants sur la bande dessinée,webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande dessinée,critique,vuillemin,choron,dbd,monde magique,crumb
    par un disciple du très iconoclaste Pr Choron : Vuillemin.

    Celui-ci est employé par un magazine mensuel -"dBD"-, pourtant largement tributaire de l'industrie de la BD. "Le Monde magique" collectionne les gags publiés chaque mois dans ce magazine au gré de l'actualité ; on sent que Vuillemin a parfois été forcé de se torturer pour trouver une idée, un angle.

    Vuillemin en profite pour rendre hommage à Crumb, avec qui il partage le goût du détail. Les critiques lapidaires de Vuillemin visent souvent juste - l'humour reste la meilleure arme contre la pédanterie académique.

    Quelques-unes de ces critiques lapidaires (illustrées dans l'album) :

    "Encore une série sur les tueurs en série chez des éditeurs de série."

    "Alors, c'est de l'art ou c'est pas de l'art ? Le débat est ouvert tous les jours de 10h à 17h sauf le dimanche et les jours fériés."

    "Quand je veux me remonter le moral, j'évite de lire Tardi, même si c'est joli."

    "J'ai eu moi aussi un chat qui racontait des conneries. Je l'ai fait piquer. Geluck est beaucoup plus malin que moi, et beaucoup plus riche aussi."

    "Musique et bande dessinée, au nom de la transversalité des arts pourquoi pas, mais alors sans gluten."

    "Si Rahan revient, c'est sûrement que son couteau lui a indiqué la direction du porte monnaie."

    "La micro-édition c'est micro-rentable mais on peut toujours s'acheter une micro-baguette avec du micro-pognon."

    "Grâce à Manara, j'ai découvert que les femmes pouvaient faire autre chose que laver mes slips et préparer mes repas. Merci Milo !"

    "Corto Maltese est un poseur qui mériterait une bonne branlée. En tout cas, c'est mon avis."

    Le Monde magique de la bande dessinée, par Vuillemin, éd. Hugo Desinge, 2016.

  • Le Pays des Purs***

    "Le Pays des Purs" (traduction de "Pakistan") est un reportage en bande-dessinée à partir des souvenirswebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,kritik,critique,pays des purs,pakistan,hubert maury,sarah caron,benazir bhutto,islamabad,scoop,evelyn waugh,boite a bulles de Sarah Caron, photographe pour la presse magazine, illustrés par Hubert Maury (la présentation de l'éditeur sous-entend qu'il est son compagnon).

    Proche du dessin-animé, le style d'H. Maury évoque "Tintin" ; mais la comparaison s'arrête à peu près là. Partie à Islamabad dans l'espoir d'y faire une photo sensationnelle ou de glaner un scoop, Sarah Caron va avoir la chance de pouvoir photographier Benazir Bhutto quelques jours avant son assassinat (2007).

    Sarah Caron ne manque pas de souligner que Benazir Bhutto, surnommée "BB" par son entourage, est un personnage exceptionnel, une véritable star de cinéma. Mieux que quiconque elle représentait le Pakistan, pays neuf issu de la partition de l'Inde, peuplé de plus de 200 millions d'habitants en majorité musulmans.

    Or une star de cinéma, ce n'est pas grand-chose : une sorte de mascotte. D'ailleurs Sarah Caron indique que Benazir Bhutto se savait condamnée, ayant été mise "hors jeu" politiquement ; sa renommée internationale s'est retournée contre elle.

    "Le Pays des Purs" esquisse un portrait peu reluisant des élites politiques pakistanaises, Benazir Bhutto inclusivement. Sans doute ce portrait est-il assez réaliste. Sans rentrer dans les détails fastidieux des magouilles politico-diplomatiques, "Le Pays des Purs" laisse entrevoir un panier de crabes où la pureté n'apparaît que sous la forme de la pure violence, omniprésente : violence policière, violence populaire, violence des ethnies rebelles. La violence impure de l'argent, plus insidieuse, se laisse deviner dans l'ombre.

    On peut reprocher à Hubert Maury d'idéaliser sa compagne, d'en faire une sorte de Tintin au féminin, munie de son appareil photo et de ses valeurs occidentales humanistes. Quelques éléments vont dans ce sens : Sarah Caron fait preuve d'un courage à la limite de la témérité et n'hésite pas à s'aventurer dans des zones dangereuses. Cela dit la BD montre la réalité du métier de reporter, qui n'est guère reluisante non plus.

    Les auteurs ne cachent pas que c'est avant tout l'opportunisme qui fait prendre à la photographe un vol pour le Pakistan agité, en quête de "scoops" et de photos sensationnelles. La photo de Benazir Bhutto commandée par le "Time magazine" est un cliché qui occulte presque tout : la peur de "BB" de mourir, sa fin prochaine, la complexité des complots politiques en train de se nouer. On comprend que la presse occidentale est avide de telles photos pour une clientèle qui consomme l'information, appuyant des thèses préfabriquées.

    A ceux qui trouveraient cette BD un peu trop "gentille" avec les reporters, on conseillera de lire "Scoop" (1938), satire féroce du milieu des reporters par Evelyn Waugh, qui fut lui même correspondant du "Daily Telegraph" de Londres en Ethiopie lorsque ce territoire excitait la convoitise du Royaume-Uni et celle de l'Italie rivale.

    Le Pays des Purs, par Sarah Caron et Hubert Maury, éd. La Boîte à Bulles, 2017.

  • L'Oeil de Baudelaire***

    Baudelaire, critique d'art avisé et influent, aurait-il fait l'apologie de la bande dessinée ?webzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,caricature,critique,oeil,baudelaire,musée,vie romantique,delacroix,robert kopp,constantin guys,daumier,eugène sue,dumas,colporteur,salon,jean clair

    On peut fournir quelques éléments de réponse à partir des documents proposés par "L'Oeil de Baudelaire" et présentés par quelques spécialistes de ce poète (Robert Kopp en tête), qui fut d'abord un critique d'art avant d'être l'auteur des "Fleurs du Mal", recueil auquel il doit sa notoriété.

    Et Baudelaire n'est pas le moindre des critiques d'art ! D'abord il sait de quoi il parle, ce qui tranche avec le dilettantisme habituel des littérateurs français ; ensuite il invente "l'art moderne", avec la connivence tout de même du peintre Delacroix (et de quelques autres).

    En dehors du cadre tracé par Baudelaire, l'art moderne serait en effet seulement "contemporain"; ou encore ce serait l'art bourgeois (dans lequel la bourgeoisie croit bon d'investir ses deniers), c'est-à-dire une idée de l'art où l'argument économique l'emporte sur l'estimation critique.

    Or il y a un aspect de la bourgeoisie qui représente aux yeux de Baudelaire une menace pour l'art, c'est l'industrialisation. Pour sa part Delacroix parle de "littérature industrielle" pour désigner la mauvaise littérature de feuilletonistes tels qu'Eugène Sue ou (son ami) Alexandre Dumas - on ne parlera que plus tard de "culture de masse".

    Dans la mesure où elle représente l'art le plus mécanique et industriel, après s'y être intéressé de près, Baudelaire et Delacroix vont dénigrer la photographie.

    Il convient sans doute de dire deux mots de la personnalité et des convictions de Baudelaire, qui déterminent en partie sa conception de l'art moderne. Baudelaire est assez inclassable politiquement, du moins sur la base de la nomenclature actuelle gauche/droite. C'est un révolutionnaire repenti, qui considérait son élan révolutionnaire a posteriori comme un geste immature. Il se veut catholique, mais le catholicisme de Baudelaire est d'un genre particulier : non seulement Baudelaire croit au diable, mais consomme de surcroît du haschisch et vit en concubinage avec une prostituée. Un psychanalyste expliquerait sans doute sa misogynie invétérée par le rapport conflictuel avec sa mère.

    A noter qu'une bande-dessinée parue récemment s'est amusée à peindre Baudelaire en précurseur du mouvement "punk".

    Plus nettement, le poète est hostile à la philosophie des Lumières, honorée par la bourgeoisie et responsable à ses yeux d'un art sans imagination, imitant platement la nature. Les philosophes des Lumières sont accusés de paganisme, et d'avoir purgé l'art de la notion de péché originel, qui seule permet à ses yeux de rendre compte de la condition humaine.

    L'art moderne doit donc selon Baudelaire être porteur d'un message, ou au moins d'un questionnement métaphysique, non seulement incliner le spectateur au bonheur et chantant les louanges de la nature. L'oeil de Baudelaire est d'ailleurs assez exercé pour porter des jugements contrastés et ne pas condamner en bloc l'art néo-classique de David ou d'Ingres, accordant par exemple à ces derniers d'être des portraitistes d'exception.

    Le mérite exceptionnel accordé par Baudelaire à Delacroix, qu'il placera parmi les "phares" de la peinture occidentale aux côtés de signatures prestigieuses, est de ne pas se contenter d'exécuter son art en se laissant guider par la nature, mais d'y ajouter la réflexion.

    Il n'est pas anodin que le "peintre de la vie moderne" idéal, retenu par Baudelaire pour incarner sa doctrine de l'art moderne, soit un auteur de reportages dessinés, pratiquement autodidacte : Constantin Guys. Ce dernier mieux que d'autres a fait l'effort de traduire la vie moderne en images.

    webzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,caricature,critique,oeil,baudelaire,musée,vie romantique,delacroix,robert kopp,constantin guys,daumier,eugène sue,dumas,colporteur,salon,jean clair

    Esquisse représentant de jeunes colporteurs de journaux, par Constantin Guys.

    En propulsant le caricaturiste Daumier au premier rang des artistes qui méritent que l'on s'y attarde, pratiquement au même niveau que Delacroix ou Ingres, Baudelaire n'hésite pas à se montrer iconoclaste en matière de critique d'art, tout en dévoilant son penchant pour la satire (comparant Daumier à Molière et Balzac).

    Baudelaire fait fi des anciennes catégories et se passionne pour les nouvelles techniques de diffusion de l'art (l'estampe); ce faisant, il contribue à la fusion des arts -de la poésie et de la peinture-, tandis que la peinture de Delacroix lorgne vers la musique.

    L'ouvrage publié par le Musée de la Vie romantique regroupe en différents thèmes les critiques de Baudelaire et les illustre à l'aide des artistes que Baudelaire sut distinguer mieux que d'autres, grâce à ses talents de poète et une passion sincère pour l'art.

    On peut désormais répondre à la question posée en préambule : qu'est-ce que Baudelaire aurait pensé de la bande-dessinée ? On voit que Baudelaire définit l'artiste moderne au-delà de la capacité à maîtriser une technique, et indépendamment d'une hiérarchie entre les arts. La question de savoir si la bande-dessinée est un art ne nous ramène pas au XIXe siècle mais plutôt au moyen-âge, tant elle est théorique.

    On constate aussi que Baudelaire juge au cas par cas ; on pourrait dire qu'il a des "coups de coeur", si ses jugements n'étaient pas toujours étayés. Sa pratique régulière du dessin semble destinée à raffermir son jugement.

    Cet attitude individualiste fait écho aux convictions antisociales de Baudelaire, particulièrement remonté contre une société bourgeoise qu'il accuse de tendre inexorablement vers l'uniformité.

    A noter que pour Baudelaire la satire n'est pas destinée à faire rire ; dans un paragraphe assez célèbre il vilipendait ainsi le rire : "(...) Le rire, disent les physiologistes, vient de la supériorité. Je ne serais pas étonné que devant cette découverte le physiologiste se fût mis à rire en pensant à sa propre supériorité. Aussi, il fallait dire : Le rire vient de l'idée de sa propre supériorité. Idée satanique s'il en fut jamais ! Orgueil et aberration ! Or, il est notoire que tous les fous des hôpitaux ont l'idée de leur propre supériorité développée outre mesure. Je ne connais guère de fous d'humilité. Remarquez que le rire est une des expressions les plus fréquentes et les plus nombreuses de la folie. (...)

    J'ai dit qu'il y avait symptôme de faiblesse dans le rire ; et, en effet, quel signe plus marquant de débilité qu'une convulsion nerveuse, un spasme involontaire comparable à l'éternuement, et causé par la vue du malheur d'autrui ? Ce malheur est presque toujours une faiblesse d'esprit. Est-il un phénomène plus déplorable que la faiblesse se réjouissant de la faiblesse ? (...)" 

    webzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,caricature,critique,oeil,baudelaire,musée,vie romantique,delacroix,robert kopp,constantin guys,daumier,eugène sue,dumas,colporteur,salon,jean clair

    Daumier caricature les "amateurs classiques convaincus que l'art est perdu en France" (au Salon).

    L'Oeil de Baudelaire, ouvrage collectif, éd. Musée de la Vie Romantique, 2016.