par WANER (à lire aussi dans "PSIKOPAT")
évangile
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Pat & Tik (1)
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Un bruit étrange et beau***
Zep a récidivé. Nous avions dit ici tout le mal que nous pensions de sa précédente tentative d’écrire et dessiner un drame convaincant, sortant du registre habituel de sa série à succès, "Titeuf". Son récit, plus ou moins autobiographique, des boires et déboires d’une bande de jeunes adultes amateurs de rockn’roll, était plein de clichés et, qui plus est, servi par un trait mollasson rehaussé d’un camaïeu couleur guimauve pénible à l'oeil.
Sur ce dernier point, Zep n’a pas fait de progrès ; mais il a changé radicalement de thème, puisque c’est la vocation religieuse qui est le sujet de ce nouveau drame, traité de façon nettement plus subtile. Zep place un moine chartreux cinquantenaire, son personnage principal, sur le fil du rasoir.
Le scénario fait au début craindre le pire, c’est-à-dire le plus prévisible ; en effet notre moine cloîtré, non seulement ascétique mais contraint à la règle du silence, en vigueur dans cet ordre monastique strict, doit quitter son monastère afin d’aller récupérer chez le notaire sa part d’héritage léguée par une tante pleine aux as.
Le plus prévisible va bien se produire lors de cette escapade; cependant Zep propose un portrait crédible ; les dialogues sonnent assez juste, et la vocation du chartreux est présentée avec le recul suffisant ; l'intérêt du lecteur est éveillé pour ce mode de vie on ne peut plus marginal (les moines catholiques ne sont plus qu’une poignée d’individus en Europe), en même temps que la profondeur de cette vocation est remise en question. La confrontation précoce du moine, pendant l'enfance, avec la mort violente d’un voisin, suicidé, explique-t-elle un choix de vie aussi radical et original ? Il semble que le tourbillon de la vie moderne soit une manière d’effort collectif un peu désespéré pour tenir à distance la mort ; la vie de reclus que s’impose notre chartreux pourrait être une méthode alternative pour amadouer cette mort, dont la brutalité l’a surpris un jour, et fortement impressionné.
L’auteur n’enferme pas son personnage dans cette hypothèse psychologique, plausible mais un peu réductrice, en montrant par exemple qu’il mène une existence non moins intense que le commun des mortels, malgré sa solitude et son isolement.
On peut se demander parfois, à la lecture de certain dialogue, si ce moine catholique n’est pas un peu bouddhiste ; l’évangile et ses commentateurs les plus fidèles (Paul de Tarse) tiennent en effet sur la mort des propos nettement différents («somme des péchés», «rançon de la chute») de ceux placé par Zep dans la bouche de son chartreux ("la mort est une forme de communion totale"). Néanmoins on peut penser que l’éthique d’une vie cloîtrée est le principal support de la spiritualité monacale, avant même l’évangile.
Si Zep est plus convaincant sur le thème de la vie religieuse que sur le thème du vice et du rockn’roll satanique, c’est peut-être parce que la BD est un art monacal ?
Un bruit étrange et beau, Zep, éd. Rue de Sèvres, 2016.
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Revue de presse BD (176)
Illustration de couverture par Rémy Mattei
+ Le fanzine lyonnais "Laurence 666" a reçu le prix du fanzine (alias "BD alternative") au récent festival-off d'Angoulême. Un ami luthérien me souffle : - Vu le titre, c'est sûrement un fanzine catholique. Le nombre 666, "de la bête", est un nombre mythique et énigmatique que le lecteur de l'évangile (apocalypse : XIII, 18) est incité à déchiffrer. Certains on pensé qu'il désignait Néron, le pape (les luthériens), Napoléon, Hitler, etc. D'autres, au contraire, qu'il ne désigne pas un individu en particulier, mais, de façon générique, la nature de l'antéchrist dont l'avènement marque la fin des temps.
+ Le quotidien "20 Minutes" explique dans un petit reportage que le développement de nouvelles technologies, dont internet, n'a pas entraîné la disparition des petits journaux amateurs, dits fanzines. Cela dit les fanzines de BD, comme la grosse presse, sont concurrencés par internet. Il n'y a plus de fanzine BD aujourd'hui, tirant et vendant plusieurs milliers d'exemplaires comme dans les années 80 (fanzine "PLG").
+ La ministre de la Culture Fleur Pellerin n'a toujours pas le temps de lire apparemment (et son entourage non plus) ; en effet, à l'issue du récent festival de la BD d'Angoulême, elle a décidé de faire chevalier des arts et lettres une brochette d'auteurs de BD, dont une majorité de femmes, parmi lesquels le franco-syrien Riad Sattouf : or ce dernier explique dans sa BD, "L'Arabe du Futur", succès de librairie, que les dictatures arabe (Syrie-Hafez el Assad) et d'Afrique (Libye-Kadhafi) s'efforçaient d'imiter le modèle républicain français laïc. La BD de Riad Sattouf contredit donc le propos officiel en vogue sur la république française, modèle de liberté.
+ Plusieurs auteures ont refusé d'accepter cette "médaille en chocolat" (Tanxxx, Julie Maroh, Aurélie Neyret et Chloé Cruchaudet) et exprimé sur leurs blogs respectifs leur mécontentement de servir d'alibi féministe à un gouvernement que sa politique économique et sociale a coupé d'une partie de son électorat idéaliste.
+ Tandis que les représentants de l'appareil d'Etat brandissent le drapeau de la liberté d'expression d'un côté, ils font passer des mesures d'exception visant à la réduire d'autre part. Mardi 2 février, le Sénat a renforcé une disposition gouvernementale visant à condamner pénalement la simple lecture (!) de sites internet faisant l'apologie du terrorisme. L'ineptie de ce décret, sans doute inapplicable, fait penser à la prohibition de la littérature communiste ou marxiste aux Etats-Unis.
A ce propos il faut dire que la censure indirecte a prouvé au cours des dernières siècles qu'elle était beaucoup plus efficace que la censure directe, qui a le don d'exciter la curiosité, en particulier des plus jeunes. Le moyen de censure le plus efficace aujourd'hui est sans doute le divertissement. L'essayiste britannique G. Orwell, récupéré aujourd'hui par les esprits les plus conventionnels (Natacha Polony), a souligné à quel point l'argument démocratique pouvait servir de paravent au totalitarisme ("La Ferme des Animaux") ; on retrouve cet argument démocratique dans la limite de l'ordre public que certains prétendent assigner à la liberté d'expression. Enfin, puisqu'il est question du "terrorisme", rappelons que la République française repose culturellement, à l'instar d'autres régimes totalitaires, sur l'apologie de la terreur révolutionnaire.
Nous proposons dans Zébra cette semaine une critique du recueil de dessins et affiches de Mai 68 paru chez Michel Lafon (2008) ; cet album commenté par les dessinateurs de "Hara-Kiri" montre que les revendications des rebelles de Mai 68 sont toujours d'actualité.
+ Le caricaturiste et auteur de BD Maëster ("Soeur Marie-Thérèse des Batignolles") a subi récemment un accident vasculaire cérébral. Hémiplégique, il peut néanmoins dessiner de nouveau et donne des nouvelles à ses lecteurs sur son blog depuis son centre de rééducation.
Autocaricature de Maëster après l'AVC.
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Revue de presse BD (88)
+ "Je n'ai pas lu beaucoup de "grands" philosophes, mais j'ai lu Cavanna (...) et ce qu'il a écrit a fortement marqué mon esprit et ma pensée.", ainsi Philgreff a-t-il tenu à rendre hommage sur son blog à François Cavanna, incinéré aujourd'hui au Père Lachaise (+ portrait).
On n'est pas obligé de partager le préjugé de Cavanna en faveur des instits et des profs, qui ne font jamais que perpétuer le bourrage de crâne clérical -beaucoup prennent pour paroles d'évangile ce qu'ils apprennent à l'école-, cela dit il faut tirer un coup de chapeau à Cavanna pour avoir tenu cette gageure, avec le Pr Choron et Cabu, de fonder un journal indépendant.
+ "Siné-Hebdo", après avoir été sauvé de la faillite par une souscription de ses lecteurs est de nouveau menacé à la suite d'un cambriolage suspect intervenu quelques jours avant le bouclage.
+ Le financement du festival d'Angoulême par une firme implantée dans les territoires palestiniens occupés par Israël (Soda-Stream) a déclenché un tollé a posteriori chez certains auteurs, dont Jacques Tardi et le Malto-Américain Joe Sacco, pour qui ce genre de financement est compromettant. Mais le FIBD n'est-il pas une entreprise commerciale avant tout ?
+ Le préfet de la Charente est intervenu pour ordonner l'expulsion de l'éditeur japonais Next-Door, venu manifester au FIBD le mécontentement de certains Japonais vis-à-vis de l'exposition sur les bordels militaires nippons qui faisaient travailler des femmes coréennes ou philippines pendant la seconde guerre mondiale. A tout prendre, cette deuxième affaire est plus inquiétante : outre que les Français feraient mieux de s'en prendre à leur propre armée et à leurs propres bordels militaires, l'intervention de représentants de l'Etat pour dire ce qu'il est permis de dire ou ne pas dire, d'exposer ou ne pas exposer, laisse penser que la circulation des idées est désormais au niveau de la circulation automobile, domaine où l'arbitraire est moins gênant.
Le directeur du festival, Frédéric Bondoux, s'est défendu en affirmant que le FIBD donne exclusivement la parole aux auteurs. En réalité, il la donne aussi à des politiciens, des publicitaires et des éditeurs. Si le président Poutine déclare que les Jeux olympiques sont une manifestation sportive avant tout, qui le prendra au sérieux ?
+ Dans une interview donnée au "Nouvel Obs", Isabelle Franquin, fille de qui on sait, estime que l'on rend peut-être trop hommage à son père, et pas assez à Raymond Macherot ou Jijé. Elle trouve en outre que l'on exagère le tempérament dépressif de son père (il est vrai que l'humour noir est rarement le fait des personnes dépressives, qui préfèrent de loin l'art masturbatoire). Isabelle Franquin tient aussi de son père que "L'admiration des autres peut paralyser la liberté de création."
+ Le dessin du jour est une parodie de manga par Tarmasz, dont le blog-bd a remporté le concours de blog-bd du 41e festival d'Angoulême. La jeune femme pratique aussi l'art du tatouage, qui est comme la BD un art cellulaire.