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shakespeare - Page 2

  • Hamlet***

    Adolescent, cette adaptation de "Hamlet" par Barbara Graille (scénario) et Gianni De Luca (dessin) m'avaitwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,hamlet,shakespeare,barbara graille,gianni de luca,humanoïdes associés enthousiasmé ; je suis enclin à être plus critique depuis que je connais mieux le théâtre de Shakespare, et "Hamlet" en particulier qui fait partie des "pièces phares".

    La force de Shakespeare tient dans l'emploi des mots justes et de métaphores qui se gravent profondément dans la mémoire. Le contraste avec le bavardage humain auquel on est habitué, et dans lequel on tombe soi-même facilement, est saisissant.

    Or l'adaptation fait nécessairement perdre à Shakespeare une partie de sa densité en s'éloignant du texte. La scénariste a dû sacrifier des pans de la pièce afin de faire place à son illustration.

    Ainsi que l'a fait remarquer un critique, le théâtre de Shakespeare est fait pour être lu, non seulement représenté sur une scène. La subtilité de "Roméo & Juliette" risque d'échapper au spectateur ou au lecteur d'une simple adaptation (pour prendre l'exemple d'une pièce satirique souvent mal comprise).

    Shakespeare se sert du théâtre pour démolir le théâtre, révélant par le biais de celui-ci ce que le tyran cherche à dissimuler grâce au théâtre. "Hamlet" illustre cette stratégie de renversement de la fonction politique de l'art, dont Claudius et Polonius font symboliquement les frais. Rien d'étonnant à ce que "La Société du Spectacle" (G. Debord) cite abondamment Shakespeare, à la suite de Marx.

    Enumérons les côtés positifs de cette adaptation en bande-dessinée, parue il y a quelques décennies déjà, avant d'émettre quelques réserves :

    - La mise en scène est habile ; Gianni de Luca s'est débarrassée des démarcations entre les cases, caractéristiques de la BD, pour un effet plus proche de la représentation théâtrale que du cinéma. Cette méthode permet une vision d'ensemble de la scène, moins découpée.

    - On évite les spéculations freudiennes oiseuses à propos de la "personnalité complexe" de Hamlet ; il est clair à la lecture de cette adaptation en bande-dessinée que, si Ophélie verse peu à peu dans une folie suicidaire, celle-ci n'est de la part de Hamlet qu'une feinte, un stratagème. Le dessin de G. de Luca ne laisse pas planer de doute sur ce point.

    Par conséquent la présentation de la pièce est assez fidèle.

    Outre un dessin un peu académique et fade, sur le modèle des comics américains, on reprochera à cette adaptation d'avoir coupé la fameuse scène au cimetière, avant l'inhumation d'Ophélie. Elle recèle en effet une satire de la religion catholique, sans doute décisive pour comprendre la pièce ; cette satire se prolonge à travers le personnage d'Ophélie, dont la folie laisse entrevoir une dévotion religieuse très particulière, et un sentiment amoureux trouble.

    Pour dépasser une lecture au premier degré des pièces de Shakespeare et comprendre le sens profond de ses allégories (ce que la grille de lecture "oedipienne" ou freudienne ne permet pas), la lecture du texte intégral est sans doute indispensable.

    "Hamlet", suivi de "La Tempête" par W. Shakespeare, adapté par Gianni de Luca & Barbara Graille, éd. Les Humanoïdes associés, 1980.

  • Revue de presse BD (214)

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    + Plusieurs remarques à propos d'une exposition en cours intitulée "L'Art de la Paix" (Petit Palais, -15 janvier 2017) :

    - L'affiche représente une débauche de drapeaux tricolores pavoisant la rue Montorgueil à Paris, peinte par Claude Monet ; le drapeau tricolore n'a pourtant rien d'un symbole de paix, pas plus que la Marseillaise qui généralement l'accompagne.

    - Le sous-titre : "Secrets et trésors de la diplomatie" ne doit pas faire oublier que la diplomatie n'a jamais empêché la guerre -tout au plus a-t-elle parfois retardé son déclenchement. Les vains efforts de l'ONU pour empêcher la guerre civile qui fait rage en Syrie aujourd'hui sont un criant rappel des limites de la diplomatie.

    - L'effort diplomatique le plus célèbre du XXe siècle afin de tenter d'empêcher le déclenchement de la seconde guerre mondiale, connu sous le nom "d'accords de Munich" (1938), est même présenté a posteriori dans l'enseignement officiel comme une dérobade ignominieuse de la part des diplomates qui signèrent ces accords (sur le moment, même un partisan de la guerre tel que Léon Blum poussa un "ouf !" de soulagement). "L'idéal de paix porté par la France à travers les siècles" (sic) évoqué par les commissaires de l'expo. relève donc du bourrage de mou.

    + L'ONU avait récemment recruté une actrice, incarnant l'héroïne de comics Wonder-Woman ; elle était censée promouvoir la cause des femmes au nom de cette organisation transnationale ; sa plastique trop avantageuse et son costume assimilable à celui d'une prostituée ayant déplu à de nombreuses associations féministes, Wonder-Woman a été vite démise de ses fonctions. L'idéal des super-héros américains, "sauver le monde", assimilable à un idéal religieux, est en effet aussi celui de l'ONU. Les super-héros sont un élément de la culture nationaliste et technocratique moderne, qui dissimule ses intentions guerrières ou de conquête derrière l'argument de la paix. 

    + A propos de Shakespeare, dont la littérature semble la plus éloignée du goût moderne pour la propagande, notamment à cause de sa dimension satirique, nous avons proposé cet été sur ce blog un petit feuilleton illustré. Celui-ci visait, si ce n'est à élucider le mystère qui entoure le célèbre tragédien, du moins à souligner et présenter l'enjeu de ce mystère.

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    Sur le mode romanesque, le scénariste de la série à succès "Blake & Mortimer", Yves Sente, a exploité le doute qui plane sur la paternité de l'oeuvre signée Shakespeare pour en faire la trame du dernier opus de la série, intitulé "Le Testament de William S." ; on est plus près ici du "Da Vinci Code" que du documentaire historique, Y. Sente cherchant surtout à satisfaire l'appétit du public pour les énigmes, les complots et les intrigues plus ou moins ésotériques. Le véritable intérêt du débat autour de la paternité des oeuvres signées Shakespeare est de mieux comprendre sa mythologie, à laquelle des sens très différents ont été prêtés.

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    Un lecteur attentif de Zébra nous signale un article de Pierre Kapitaniak, qui traite du rapport entre le théâtre de Shakespeare et la BD, en s'attardant sur le cas particulier de l'adaptation rudimentaire de "Hamlet" par Dan Carroll, mise en ligne sur son blog. On apprend par exemple dans cet article qu'"en 1975, Gotlib fait paraître une adaptation très brève de "Hamlet", plus sur le mode de la plaisanterie et de l’allusion que d’une véritable adaptation de l’histoire, puisque l’ensemble se réduit à neuf pages."

    Cependant P. Kapitaniak véhicule dans son article un préjugé, celui de la déformation de l'oeuvre de Shakespeare par l'art populaire. Celui-ci a tendance à raboter et simplifier les pièces de Shakespeare, mais les élites intellectuelles ou universitaires, de leur côté, se livrent souvent à un travail d'interprétation qui occulte l'oeuvre originale bien plus encore. La critique psychologisante de S. Freud et ses disciples, typiquement élitiste, comme elle ne parvient pas à faire entrer le théâtre de Shakespeare dans son schéma oedipien, trop réducteur, est conduite à des interprétations tirées par les cheveux.

    + Comme chaque année, nous publions un fanzine "papier", qui regroupe une partie de cette revue de presse et des caricatures publiées ici par nos contributeurs. Naumasq y propose, en bonus, une petite BD inédite de 5 pages ; vous pouvez vous procurer ce tirage limité de 48 p. (8 euros) en écrivant à zebralefanzine@gmail.com.

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  • Qui a peur de Shakespeare ? (4)

    Petit feuilleton littéraire estival

    Le mystère de la fable

    Le halo de mystère qui entoure Shakespeare est donc, pour une part, le résultat d'un malentendu ou de contresens manifestes, disions-nous dans le précédent épisode de ce feuilleton. Quelques dizaines de milliers d'ouvrages ont été rédigés afin de défricher le terrain et permettre une meilleure compréhension du théâtre de Shakespeare ; pourtant, c'est comme si on patinait au lieu d'avancer.

    Qui a peur de Shakespeare ? Est-il comme un spectre, hantant notre culture au crépuscule, effrayant commewebzine,zébra,bd,feuilleton,shakespeare,estival,littéraire,hamlet,claudius,freud,shagspere,claudel,nietzsche,voltaire,racine,homère,chassériau,othello,desdémone,fussli,lady mcbeth,romantique le diable, et dissuasif pour certains d'entendre son message ?

    Si l'on estime, tout comme Freud, que Hamlet est sans doute le portrait de l'auteur des pièces signées "Shakespeare", ne peut-on en déduire que Shakespeare a, comme son héros, beaucoup d'ennemis plus ou moins rusés, et qu'il a pris certaines précautions pour se garder d'eux ?

    Parmi les lecteurs et critiques qui, au cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, ont éprouvé de l'admiration pour Shakespeare et son oeuvre, certains ont tourné leur veste, tels Voltaire (dénigrant "Hamlet" : "On croirait que cet ouvrage est le fruit de l’imagination d’un sauvage ivre."), Nietzsche (qui finira par avouer sa perplexité, après s'être dit la réincarnation de Francis Bacon, alias Shakespeare), ou encore Claudel (qui préfère Racine, en définitive). La fascination de Polonius pour Hamlet, mêlée de crainte et de ruse machiavélique, n'est pas sans faire penser à l'attitude de tel ou tel commentateur.

    *

    La violence de Hamlet a beaucoup fait jaser : certains l'ont trouvé excessive, à l'encontre de sa mère notamment (Gertrude) ; cette colère a paru incohérente avec l'hésitation de Hamlet à se venger du traître Claudius. Freud s'est perdu en conjectures pour tenter d'élucider le tempérament de Hamlet ; mais le schéma de l'oedipisme nous laisse sur notre faim. Cette incohérence psychologique incite à voir plutôt dans "Hamlet" une pièce tragique, dont le ressort n'est pas principalement psychologique. La violence de Hamlet, ses coups d'épée, sont une violence symbolique, comme celle de nombreux mythes antiques qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre. La mère de Hamlet est comparable à la méchante reine du conte de fée, qui empoisonna Blanche-Neige.

    Il est sans doute plus pertinent de prendre Shakespeare pour un auteur de fables ou de contes. Une part du mystère est donc intentionnelle, liée au caractère allégorique de la pièce. Les pièces de Shakespeare sont un peu comme les fables d'Esope, qu'il nous faudrait déchiffrer si elles n'étaient pas suivies ou précédées par une petite explication.

    Le choix d'une forme allégorique peut s'expliquer par diverses raisons : le succès de Homère à travers leswebzine,zébra,bd,feuilleton,shakespeare,estival,littéraire,hamlet,claudius,freud,shagspere,claudel,nietzsche,voltaire,racine,homère,chassériau,othello,desdémone,fussli,lady mcbeth,romantique âges illustre le goût du public le plus large pour la mythologie. Shakespeare comme Homère est apprécié aussi bien par un public lettré que par un public plus fruste. Combien de dramaturges peuvent en dire autant ?

    Le parfum de mystère est aussi une incitation pour le public à plonger plus avant dans l'oeuvre, une fois sa curiosité piquée à vif...

    Le fossé qui sépare le public contemporain de Shakespeare est sans doute plus difficile à franchir pour ceux qui ne croient pas aux contes de fées, mais plutôt dans le triomphe de la raison sur les mythes du passé.

    - Avides de sujets nouveaux, les peintres romantiques se sont emparés des pièces de Shakespeare, qui commencent alors d'être en vogue dans toute l'Europe, et les ont illustrées. Ci-contre, le peintre français Théodore Chassériau a représenté Othello et Desdémone ; le littérateur et peintre britannique J. H. Füssli peint, lui, la démoniaque Lady MacBeth en pleine crise de somnambulisme.

     

  • Qui a peur de Shakespeare ? (3)

    Petit feuilleton littéraire estival

    Quelques hypothèses et une certitude

    Nous pouvons comparer Shakespeare à une haute montagne tel le Mont-Blanc ; son nom est familier de tout le monde ; presque aussi nombreux sont ceux qui ont aperçu le fameux mont de loin, par temps clair ; mais, quant à ceux qui ont escaladé les pentes du Mont-Blanc, atteint son sommet, ils forment un petit nombre...

    Nous l'avons dit précédemment : dès lors que l'on s'approche un peu de Shakespeare, après avoir lu quelques-unes de la quarantaine de pièces qui composent son oeuvre, on éprouve le sentiment contradictoire d'un ouvrage cohérent, dont les différentes parties se répondent, en même temps qu'il recèle un mystère.

    La cohérence et le mystère sont les deux moteurs de l'investigation ; la cohérence fournit des points d'appui, tandis que le mystère pique la curiosité et le désir d'en savoir plus.

    Quelques érudits, spécialisés dans l'étude de Shakespeare, ont cru avoir résolu tout ou partie de l'énigme. S. Freud a poussé loin l'étude psychologique des personnages et fini par se persuader que le savant anglais Francis Bacon (1561-1626), qui fut un temps garde des sceaux du roi d'Angleterre Jacques Ier, n'était autre que le véritable auteur d'une oeuvre qui témoigne d'une érudition hors du commun, dans des domaines aussi variés que le droit, les sciences naturelles, l'astronomie, ou encore ce que l'on appelle aujourd'hui la géographie.

    L'identification du personnage de Hamlet à l'auteur de la pièce éponyme est sans doute le plus convaincantwebzine,zébra,bd,feuilleton,shakespeare,estival,littéraire,gianni de luca,hamlet,freud,gide,francis bacon dans l'hypothèse de Freud. Néanmoins, l'inventeur de la psychanalyse n'est pas parvenu à donner une explication solidement étayée du théâtre de Shakespeare en général, ni de "Hamlet" en particulier. La question de la condition humaine dépasse sans doute les solutions que la psychanalyse ou la médecine préconise.

    Le romancier et critique littéraire André Gide proposa, lui, une hypothèse en forme de piste à suivre, affirmant que l'énigme Shakespeare se résume à l'énigme de la religion de Shakespeare. Gide ne se mouille pas tant que ça, car Shakespeare a été revendiqué par toutes les factions religieuses chrétiennes, et même par le chantre du néo-paganisme, Frédéric Nietzsche (1844-1900).

    Cependant Gide a raison d'insister sur la foi de Shakespeare : les quatre siècles qui nous séparent de la publication des pièces ont contribué à épaissir le mystère de la religion de Shakespeare. Ainsi la violente querelle théologico-politique qui opposa l'Eglise romaine aux partisans de la Réforme luthérienne ou aux anglicans est un point crucial de l'histoire européenne, aujourd'hui méconnu, maltraité dans certaines notices accompagnant la réédition des pièces. On ne peut exclure le contexte des guerres de religion quand on se pose la question de la religion de Shakespeare.

    *

    Une part du mystère vient donc, non de Shakespeare ou des pièces elles-mêmes, mais de l'ignorance des admirateurs ou des commentateurs. On pourrait mentionner plusieurs contresens manifestes, commis à propos de telle pièce, ou bien de l'oeuvre en général, dans des notices à vocation scolaire ou didactique.

    Mentionnons un élément majeur, que certains commentateurs semblent s'obstiner à ignorer : la satire visant le moyen-âge ou la culture médiévale, qui court pourtant à travers toute l'oeuvre de Shakespeare.

    Quelques exemples convergents de cette satire :

    - Les moines ont toujours le mauvais rôle dans les pièces de Shakespeare ; le frère Laurent, moine capucin conseiller de Roméo, contribue à la fin tragi-comique de Roméo et sa dulcinée. Quant au complice du frère Laurent, le frère Jean, qui joue le rôle de messager, c'est carrément un imbécile dont la négligence a des conséquences dramatiques. "Mesure pour mesure" est encore plus caractéristique de cet anticléricalisme, puisque Shakespeare esquisse ici une théorie de la relativité des règles morales en vigueur dans la haute société médiévale (dictées par le clergé) ; Shakespeare suggère qu'un tel relativisme débouche sur l'arbitraire. Ophélie, dans "Hamlet", est encore un personnage dont la folie est explicitement liée à une éducation catholique déficiente. Son frère Laërte est une sorte de Don Quichotte ridicule, confondant orgueil et amour, comme le héros de Cervantès.

    - Les moines sont montrés chez Shakespeare, comme chez Rabelais ou Boccace ("Décaméron") auparavant, sous un jour peu reluisant. Un autre pan de la culture médiévale n'est pas épargné par la satire, celui de l'héritage antique, qui forme avec l'enseignement du clergé catholique un socle assez hétéroclite. Dans "Troïlus et Cresside", Shakespeare remet en scène la guerre de Troie et ses héros, d'une manière qui discrédite la notion d'"héritage antique" ; en lieu et place des héros troyens, de leur héroïsme légendaire, Shakespeare nous montre des guerriers mus par l'intérêt et des motifs triviaux. Le roman national anglais est écorné.

    L'exaltation des guerriers n'est pas tant le but d'Homère qu'il fut celui de "L'Enéide" et du poète Virgile. Cela nous conduit à situer la démarche et le message de Shakespeare à l'opposé de celui de Dante dans sa "Divine comédie" et son traité politique.

    Il faut noter que le personnage de Lancelot, chevalier et héros du poème épique de Chrétien de Troyes, est un valet (et un imbécile) dans "Le Marchand de Venise".

    Plusieurs personnages emblématiques des idées théocratiques en vigueur au moyen-âge sont montrés parwebzine,zébra,bd,feuilleton,shakespeare,estival,littéraire,gianni de luca,hamlet,freud,gide,francis bacon Shakespeare sous un jour plus ou moins sinistre dans différentes pièces : le cardinal Wolsey, dans "Henri VIII", machiavélique conseiller du roi, paré des attributs de la religion ; Thomas More, dans la pièce éponyme, est présenté sous un jour très défavorable ; à l'instar de Wolsey, More est la victime de sa propre cabale, et son action politique l'entraîne à se parjurer. Enfin, l'un des personnages le plus méprisables du théâtre de Shakespeare, Polonius, joue auprès du roi Claudius un rôle de ministre de l'ombre similaire à celui joué par Wolsey et More.

    Une partie du mystère qui entoure Shakespeare n'est autre que de l'incompréhension ; cette incompréhension peut s'expliquer par l'empreinte persistante du moyen-âge sur notre temps, en dépit ou à cause du progrès technique accompli depuis le moyen-âge. En effet, on a oublié à quel point le moyen-âge fut un âge technocratique, à l'instar du nôtre. Les mentalités ne diffèrent guère aujourd'hui aux Etats-Unis de ce qu'elles furent au moyen-âge, en Europe.

    (A SUIVRE)

    La première des planches reproduites ci-dessus est tirée du "Hamlet" de Gianni de Luca (1927-1991). Elle illustre la scène où Horatio annonce à son ami Hamlet l'apparition d'un spectre sur les remparts du château d'Elseneur au milieu de la nuit. Gianni de Luca a adapté également deux autres pièces de Shakespeare, en transposant d'une manière virtuose le caractère théâtral.

    - Le théâtre de Shakespeare a fait l'objet de nombreuses adaptations en BD, plus ou moins réussies et fidèles, parmi lesquelles celle de "MacBeth" par Daniel Casanave, d'où est extraite la seconde planche.

  • Qui a peur de Shakespeare ? (2)

    Petit feuilleton littéraire estival

    Réserve française

    Dans le premier numéro de ce feuilleton, nous avons souligné l'empreinte profonde de Shakespeare sur la culture moderne, en même temps qu'un voile de mystère continue de napper l'oeuvre, voire l'identité de son auteur.

    Il serait en effet plus facile de dresser la liste de ceux -philosophes, romanciers, poètes, dramaturges, critiques-, qui ne doivent rien à Shakespeare, l'ignorent (délibérément ou pas), plutôt que la liste des suiveurs plus ou moins fidèles.

    Le mystère est entériné par la critique qui, ne parvenant pas à classer un certain nombre des pièces de Shakespeare dans le genre comique ou tragique ("Timon d'Athènes", "Mesure pour mesure", "Troïlus et Cressida"...), les a qualifiées de "problem plays" (pièces énigmatiques). Cette difficulté de classement, si elle indique l'originalité de Shakespeare, n'est rien à côté du problème de l'interprétation des pièces et des poèmes, auxquels on a prêté parfois des significations radicalement opposées. Ainsi, quand certains voient en Hamlet le héros de la tragédie qui porte le même nom (ce qui paraît assez logique), d'autres ont affirmé que Claudius (traître, assassin et adultère) en était le véritable héros.

    Pourtant l'engouement d'un large public pour le théâtre de Shakespeare montre qu'il n'est pas le domaine réservé de quelques spécialistes. Mieux, ce théâtre vieux de quatre siècles est d'une étonnante actualité.

    - Le poids de la finance et des banques sur la destinée des hommes d'aujourd'hui évoque irrésistiblement "Le Marchand de Venise", dont il y aurait peu à changer pour donner une version londonienne dans un décors de buildings de verre et d'acier.

    - Mais encore la difficulté à définir des règles morales, une éthique qui fasse consensus entre les hommes, fait penser à "Mesure pour Mesure", où Shakespeare bat en brèche l'idée de morale universelle.

    - Dans "Roméo & Juliette", le motif de l'amour est partout et nulle part en même temps, ce qui n'est pas non plus sans faire penser à la société de consommation.

    - La collusion du pouvoir politique et du pouvoir religieux est le thème de plusieurs pièces ("Henri VIII", "Thomas More"), toujours aussi "brûlant" aujourd'hui.

    Toutes ces coïncidences frappantes suggèrent qu'il y a bien quelque chose à saisir dans cette oeuvre insaisissable.

    *

    C'est le moment d'évoquer une certaine "réserve" française. Aussi marqué soit l'intérêt de Voltaire, Diderot,webzine,zébra,bd,feuilleton,shakespeare,estival,littéraire,problem plays,timon d'athènes,mesure pour mesure,troïlus et cressida,balzac,barbey d'aurevilly,stendhal,claudel,gide,céline Hugo (père & fils), Balzac ("notre Shakespeare", selon le critique J. Barbey d'Aurevilly), Vigny, Stendhal, Claudel, Gide, Céline..., pour le théâtre de Shakespeare, l'engouement n'est pas aussi grand en France qu'il est dans d'autres pays, comme l'Allemagne ou les Etats-Unis, en plus de l'Angleterre et d'autres nations plus éloignées (l'intérêt pour Shakespeare ne se limite pas aux nations occidentales).

    La raison en est sans doute que la France, ses élites, ses pédagogues, sont moins attachés à l'histoire qu'ils ne sont à la culture. Autrement dit, les élites françaises se passionnent plus pour le "roman national" que pour l'histoire (sans valeur patrimoniale) ; chaque parti, qu'il soit réactionnaire, libéral, communiste, républicain, etc., enseigne son récit des événements politiques, dont il s'empresse de déduire un discours moral.

    Or Shakespeare est à l'opposé de ces usages ; on voit bien qu'il n'oppose pas tel camp à tel autre, le bien au mal, de façon manichéenne. C'est avec beaucoup de mauvaise foi que l'on a pu rapprocher Shakespeare du "sentiment national anglais" ; les souverains anglais sont en effet tantôt décrits par Shakespeare comme des imbéciles sans prise sur leur destin (Richard II), tantôt comme des personnages rusés mais cruels (Richard III) ; le portrait peu flatteur de Jeanne d'Arc par Shakespeare ne suffit pas à en faire un dramaturge nationaliste anglais.

    S'il y a une leçon à tirer de l'oeuvre de Shakespeare, un message caché, il n'est pas d'ordre éthique.

    (A SUIVRE)

    Le peintre préraphaélite William Holman Hunt (1827-1910) illustre dans le tableau ci-contre, "Le Berger Mercenaire", un bref passage extrait du "Roi Lear". Occupés à flirter, le berger et la bergère ne prêtent plus attention à leur troupeau de moutons. Le berger négligent tient dans sa main gauche un sphinx tête de mort (papillon assez commun, autrefois appelé "désirée").

  • Qui a peur de Shakespeare ? (1)

    Petit feuilleton littéraire estival

    Insaisissable Shakespeare

    On célèbre cette année dans le monde entier les 400 ans de la mort de William Shakespeare, cet illustre inconnu. L'oxymore permet de souligner le paradoxe suivant : Shakespeare est aussi loin que proche, absent que présent ; présent dans la culture contemporaine via la multitude des poètes modernes qu'il a touchés et influencés, des adaptations de son oeuvre qui ont été proposées au public, tant cinématographiques que théâtrales...

    Mais il semble aussi distant en raison du mystère qui entoure son oeuvre ; combien sont partis à la recherche de Shakespeare, de l'homme, de son oeuvre... et n'en sont jamais revenus ? Des milliers ? Peut-être encore plus... Une bibliothèque privée, exclusivement consacrée à la collecte d'ouvrage traitant de Shakespeare, recèle plus de 100.000 bouquins !

    A quoi bon la culture, si elle nous pousse à célébrer Shakespeare sans même savoir qui il est ?

    La commémoration ne doit pas faire oublier que Shakespeare n'a pas que des admirateurs, mais aussi quelques détracteurs plus ou moins sévères ; Tolstoï, par exemple, le jugeait inférieur à Homère. Pour le peintre Delacroix, qui a illustré le texte de S., ses pièces manquent de perfection. Il arrive que les détracteurs en disent plus long que tel ou tel admirateur, pressé de trouver un appui dans Shakespeare à son système de pensée.

    "Catholique", "Luthérien", "Athée", "Libre-penseur", "Païen" : à peu près tous les épithètes ont en effet été attribués à Shakespeare par la fine fleur des intellectuels, philosophes ou essayistes modernes, aussi contradictoires soient-ils entre eux, contribuant à brouiller la piste encore plus.

    *

    Si vous n'aimez pas le mystère, arrêtez-vous ici, car il s'épaissit encore sous l'effet des efforts dewebzine,zébra,bd,feuilleton,shakespeare,estival,littéraire certains critiques pour dénier à l'acteur de Statford-sur-Avon la paternité de l'oeuvre qui lui est officiellement attribuée. Il y a de cela quelques années, un film américain ("Anonymous", 2011) broda une intrigue autour de cette suspicion d'un auteur différent. 

    Auparavant, Mark Twain écrivit et fit jouer une pièce exprès pour persuader le public de la conviction qu'il avait acquise que l'acteur natif de Stratford-sur-Avon n'était qu'un prête-nom. Mark Twain est-il convaincant ? Il l'est au moins sur un point : la notice biographique de Shakespeare est étonnamment concise, limitée à quelques lignes, et donc propice à faire naître tous les fantasmes.

    Les "antistratfordiens" sont sans doute plus nombreux aux Etats-Unis, car l'antistratfordisme relève presque du blasphème dans la patrie de Shakespeare. Mais il faut ajouter au moins deux noms allemands prestigieux à la liste des sceptiques : ceux du doctrinaire réactionnaire F. Nietzsche et du médecin fondateur de la psychanalyse S. Freud. Tous deux réattribuèrent l'oeuvre au savant Francis Bacon (1561-1626), en se fondant sur divers arguments. La correspondance privée de Nietzsche montre qu'il fut même, pendant un temps, persuadé d'être la réincarnation de F. Bacon alias Shakespeare !...

    Tout cela a bien sûr un parfum de complotisme dans l'air du temps ; mais, avec "Hamlet", Shakespeare n'a-t-il pas élevé le complotisme au rang d'oeuvre d'art ?

    (A SUIVRE)

    Illustration par E. Delacroix de la scène d'Hamlet et des fossoyeurs (acte V, scène 1) ; au XIXe siècle, la passion de Shakespeare se répand petit à petit dans toute l'Europe ; Delacroix y participe, tout en exprimant quelques réserves dans son "Journal".

  • Elisabeth Ire***

    Cette souveraine anglaise (1533-1603) joue un rôle comparable au rôle joué par Louis XIV dans l'histoire dewebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,élisabeth ire,glénat-fayard,regnault,delmas,meloni,duchein,angleterre,henri viii,tudor,shakespeare,tétralogie,margaret thatcher,angela merkel,londres France. En effet, avec Elisabeth Ire émerge un Etat de plus en plus puissant et unifié, dont les ramifications ne cessent de s'étendre... bref, un Etat moderne. L'Angleterre d'Elisabeth sera en mesure de rivaliser avec la France et l'Espagne ; elle mettra même un terme à l'ambition de l'Espagne de dominer le monde en piégeant sa flotte militaire dans le pas de Calais. Elisabeth parachève l'oeuvre de son père, Henri VIII, tout en mettant un point final à la dynastie des Tudor, qui s'éteint avec elle. Sur le plan militaire et économique, Elisabeth fut plus avisée que son homologue français (Louis XIV).

    En collaboration avec les éditions Fayard, Glénat propose ici une bande-dessinée didactique. Pour cela un historien (M. Duchein) a supervisé le récit, visant un juste milieu entre le roman national anglais, peu critique, et le point de vue catholique proche du pamphlet (la rupture des Tudor avec la religion romaine et l'anglophobie ont valu aux Tudor quelques pamphlets catholiques ou français).

    La gageure était double puisque les auteurs se devaient d'être équitables, mais aussi de résumer en une cinquantaine de pages une personnalité et un règne à la fois complexes et denses. Shakespeare, contemporain d'Elisabeth Ire, a d'ailleurs relevé ce défi (faire court et dense en même temps) avec ses tétralogies historiques qui tiennent le lecteur en haleine.

    Le règne d'Elisabeth soulève non seulement le problème épineux de la religion d'Etat, qui évoluera en religion DE l'Etat (le problème reste par conséquent d'actualité) ; mais aussi celui de la centralisation croissante du pouvoir politique, qui va s'accélérer encore par la suite avec le développement de l'économie capitaliste.

    Elisabeth était en outre dotée d'un tempérament hors du commun, que la BD n'omet pas de souligner. Cette reine a laissé le souvenir d'un grand courage physique et d'une abnégation exemplaire. A peine évoquées dans la BD, faute de place, les jeunes années d'Elisabeth ont sans doute contribué à forger un tel caractère. Songez un peu : le père d'Elisabeth a fait décapiter sa mère, inculpée d'adultère ; le sort de la future reine fut on ne plus précaire quand sa demi-soeur Marie la fit emprisonner pour conforter sa position sur le trône (menacée d'exécution, Elisabeth écrivit au commandant de la Tour de Londres pour réclamer l'épée au lieu de la hache, en cas de malheur). Certains sont anéantis par des vicissitudes qui permettent à d'autres, a contrario, de se forger un mental d'acier.

    L'Europe n'a donc pas attendu le XXe siècle, Margaret Thatcher ou Angela Merkel, pour confier à une femme l'exercice du pouvoir suprême. Contre l'avis de ses conseillers, Elisabeth eut l'intelligence de ne pas se marier, ce qui aurait pu l'affaiblir, ne serait-ce qu'en mettant en péril sa santé, et par conséquent son pouvoir et son indépendance. Elle sut dissiper la rumeur de son mariage secret avec Robert Dudley, codétenu à la Tour de Londres, et même la rumeur d'accouchements clandestins. L'union des souverains de sexe masculin n'était pas moins une chose ardue, compte tenu des enjeux diplomatiques et de succession.

    La BD est complétée par un dossier historique illustré de 7 pages, qui permet d'approfondir ce chapitre capital de l'histoire européenne ; la BD fait partie d'une collection comportant une dizaine de titres qui proposent un aperçu sur Louis XIV, Catherine de Médicis, Napoléon, Jaurès, entre autres. Il s'agit là d'un bon moyen pour susciter l'intérêt des adolescents et des grands adolescents pour l'histoire, alors qu'ils sont de plus en plus exposés aux sollicitations de la culture de masse et de la propagande politique.

    "Elisabeth Ire", par Meloni, Regnault, Delmas, Duchein, Eds Glénat-Fayard, juin 2016.