La Semaine de Suzette Zombi. Samedi : "Stupéfiant !" : tout est dit dans le titre.
pressé - Page 232
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Caricature Michel Onfray & Léa Salamé
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Revue de presse BD (219)
Dessin de Ted Rall à propos de l'abstention des afro-américains ("Difficile de choisir entre celle qui feint de s'intéresser à nous et nos problèmes, et le type qui dit honnêtement qu'il s'en contrefout").
+ Au long de la récente campagne pour les élections présidentielles américaines, le dessinateur de presse américain Ted Rall ("Passage afghan") a combattu dans ses strips le manichéisme en vogue à Hollywood consistant à opposer la "gentille" Hillary Clinton au "méchant" Donald Trump.
La presse, britannique cette fois, se montre plus sévère avec B. Obama, à l'heure du bilan, que la plupart des éditorialistes français ; "The Guardian" de Londres publie ainsi une tribune de Gary Younge : "Comment Obama a ouvert la voie à Trump", précisant : "Pendant le crash financier, Obama s'est rangé du côté des banquiers et non des gens expulsés de leur domicile - rendant la victoire de Trump possible."
+ La revue "Fluide-Glacial" vient de publier un numéro spécial "Idées noires", tandis que la bibliothèque du centre Pompidou expose le travail de Franquin. Ce numéro reproduit quelques planches des "Idées noires" (dont les plus antimilitaristes), publiées dans "Fluide-Glacial" par Gotlib, qui présentait Franquin comme son "maître". Produit de la collaboration entre Franquin (dessin) et Gotlib (scénario) quelques planches plus rares figurent aussi dans ce n° spécial ; ainsi que divers hommages rendus par des dessinateurs de "Fluide" : Pixel Vengeur, Hausman, Edika, Fabrice Erre, Goossens... de qualité inégale.
+ Les "Cahiers de l'Herne" consacrent leur dernier numéro au romancier et poète Michel Houellebecq. Ces cahiers sont censés dévoiler des pans peu connus de la personnalité ou de l'oeuvre de tel ou tel homme de lettres. Mais un critique fait remarquer que "plus on s'approche de Michel Houellebecq, plus il paraît flou."
Extrait : "La bande-dessinée belge n'a rien produit, en matière d'aventures, qui égale la grande période de Pif le Chien. En 1970 je jouais encore aux billes, je lisais Pif le Chien. La belle vie. Puis une série de catastrophes s'est produite, et j'ai plus ou moins cessé d'être un enfant." M. Houellebecq (tiré de "L'Idiot international" n°77, mars 1992) ; on sait que Michel Houellebecq fut plus attaché à Clément, son chien, qu'au restant de l'humanité - comme quoi les lectures d'enfance peuvent marquer durablement.
+ La nouvelle revue "Topo", paraissant tous les deux mois, traite pour les moins de vingt ans de l'actualité, sous forme de petits dossiers ou de reportages BD. Ce magazine, qui entend redonner au journalisme ses lettres de noblesse, est malheureusement très lisse et conventionnel. Ainsi dans le dernier numéro, il est question de sport : des élèves de l'Insep (Institut national du sport) présentent leur entraînement : vu le nombre de tricheurs, de drogués, de masochistes, de dépressifs, pratiquant un sport dit "de haut niveau", on s'attend à plus d'esprit critique de la part d'un magazine destiné aux moins de vingt ans.
Un autre article prêche contre le "complotisme", un peu en vain. Le complotisme est sans doute en train de devenir la première culture mondiale ; le cinéma américain alimente en effet largement le complotisme, qui a des causes plus profondes que "Topo" n'explique. L'idéal démocratique est une de ces causes ; Julian Assange (Wikileaks) explique son combat pour dévoiler les secrets militaires américains (bien réels) par son idéal de transparence démocratique.
D'une certaine façon, le complotisme est presque rassurant, car si la mondialisation et le phénomène de concentration des Etats et des richesses ne sont pas le fruit du complot d'une petite élite dirigeante, cela signifie que la mondialisation ne procède d'aucune politique concertée... hypothèse encore plus inquiétante.
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Caricature Theresa May
La Semaine de Suzette Zombi. Mardi.
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Prométhée***
Le mythe grec de Prométhée fascine depuis plusieurs siècles. Luc Ferry ne pouvait donc manquer de l'inscrire au programme de la série d'albums consacrés aux mythes antiques qu'il supervise pour le compte des éditions Glénat.
L'homme et la condition humaine sont en effet au centre de cette fable dont la littérature grecque antique donne déjà plusieurs versions (Hésiode, Eschyle, Platon à travers Protagoras, Apollonios de Rhodes...), sans compter les nombreuses versions latines.
Au moyen-âge, le mythe biblique d'Adam et Eve, traitant du même thème sur le mode allégorique, éclipsa cette version grecque de la création de l'homme et des limites assignées à son génie. Plus érudite et moins soumise à la censure que le Moyen-âge, la Renaissance s'intéresse de plus près à la sagesse grecque et la confronte à la sagesse biblique.
L'apogée de cette érudition est l'élucidation de quelques mythes grecs par le savant philosophe Francis Bacon Verulam (1561-1626), qui publia un mince ouvrage intitulé "La Sagesse des Anciens" ; cet ouvrage sera au XVIIe siècle un des premiers "succès de librairie". D'une certaine manière, la collection de bandes-dessinées dirigée par L. Ferry s'inscrit dans cette tradition.
L'homme moderne est parfois qualifié de "prométhéen", dans la mesure où il préfère s'appuyer sur son propre mérite ou sa propre raison plutôt que sur une vérité venant du ciel, révélée par dieu. En procurant le feu et sa maîtrise à l'homme, Prométhée lui donne le moyen de dominer toutes les autres espèces vivantes et, par conséquent, un pouvoir titanesque (P. est le fils du titan Japet). Pour la raison qu'il repose surtout sur l'invention technique, on peut encore dire l'Occident moderne "prométhéen". Cela explique la reprise du mythe de Prométhée dans les temps modernes, tantôt pour exalter Prométhée, tantôt pour le flétrir ou montrer ses limites ("Frankenstein" de M. Shelley).
Francis Bacon prend appui sur la fable grecque pour éclaircir la fable juive de la Genèse. La plus souvent les interprètes du moyen-âge prenaient au premier degré le mythe d'Adam et Eve, et son sens secret ou allégorique leur demeurait caché. L'analogie entre Prométhée et Lucifer permet ainsi de de mieux comprendre le sens de la sanction qui frappe l'humanité (le travail). Cette sanction ou cette peine peut s'interpréter en termes de limites.
Promoteur acharné du progrès de la science, F. Bacon discerne dans le mythe de Prométhée une incitation pour l'homme à ne pas se reposer sur ses lauriers et à faire preuve d'humilité, au lieu de se comporter avec arrogance comme il fait trop souvent dans le domaine de la science : "Vient ensuite une partie de la parabole tout à fait remarquable. Les hommes, au lieu de manifester leur reconnaissance, se répandirent en reproches, s'indignèrent et entreprirent de dénoncer Prométhée pour le vol du feu devant Jupiter. (...) L'allégorie veut signifier qu'en accusant leur nature et l'art, les hommes font preuve d'un excellent état d'esprit, qui leur réussit, alors qu'en faisant le contraire ils attirent la haine des dieux et le malheur. Car ceux qui vantent à l'excès la nature humaine ou les arts déjà acquis, qui prodiguent leur admiration pour les choses qu'ils connaissent et dont ils jouissent, qui veulent enfin faire passer pour parfaites les sciences qu'ils professent et cultivent, ceux-là manquent d'abord de respect à la nature divine, puisque c'est tout juste s'ils ne donnent pas à leurs oeuvres le même degré de perfection."
F. Bacon tire du mythe une mise en garde contre la confusion entre "progrès technique" et "science" dont on ne peut pas dire que la culture occidentale moderne a beaucoup tenu compte.
Luc Ferry (philosophe disciple d'E. Kant) propose en annexe une interprétation du mythe plus conforme à la culture moderne ; parce qu'il s'ennuyait, du haut du mont Olympe, Zeus aurait créé l'homme afin de se divertir, explique L. Ferry. Prêter la "faculté" à Zeus de s'ennuyer, faculté typiquement humaine, revient à suggérer que Zeus est le produit de l'imagination humaine... Il ne s'agit pourtant pas dans le mythe grec de sonder l'intention de dieu, mais bien les limites de l'homme à travers son créateur, Prométhée. L. Ferry a d'ailleurs choisi de privilégier la version du sophiste Protagoras sur celle d'Hésiode, plus sévère à l'égard de Prométhée.
Il est une question à laquelle Luc Ferry voudrait répondre à l'occasion de son travail de mise en valeur des mythes antiques : pourquoi continuent-ils de fasciner autant ?
On peut répondre que le darwinisme et la théorie du "big-bang", qui jouent le rôle de substitut des mythes antiques dans la culture occidentale contemporaine (en fournissant une réponse à la question de l'origine de l'homme et de l'univers), se sont avérés impropres à fonder une sagesse, voire une éthique. Pire, le darwinisme a inspiré la théorie de la compétition raciale nazie, et il inspire encore celle de la compétition économique capitaliste. L'homme se voit réduit tantôt à sa dimension animale, tantôt à une "aberration" (Hubert Reeves), ce qui ne constitue pas moins une impasse sur le plan anthropologique. De façon surprenante, les mythes antiques paraissent mieux tenir compte de la réalité que les hypothèses fondées sur le raisonnement scientifique.
Le triomphe de la raison moderne sur les mythes paraît un pur slogan au regard du champ de ruines et des massacres perpétrés au XXe siècle par les nations occidentales.
Clotilde Bruneau, qui a effectué le travail d'adaptation scénaristique du mythe, soulève dans une interview une difficulté significative, à laquelle le travail d'adaptation en BD s'est heurté : tandis que la bande-dessinée moderne obéit au code de la fiction et se doit d'être chronologique, les mythes grecs ont avant tout une portée symbolique. L'incohérence des mythes antiques, qu'ils soient grecs ou bibliques, indique qu'ils recèlent une signification allégorique.
De même, l'écart est assez net entre le type de dessin très "américain" retenu pour illustrer la collection, et la simplicité du dessin des vases grecs antiques sur lesquels les scènes de la mythologie étaient représentées.
Prométhée et la boîte de Pandore, par Luc Ferry, Clotilde Bruneau et Giuseppe Baiguera, éd. Glénat 2016.
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Caricature Bachar el Assad
par l'Enigmatique LB (à lire aussi dans "Siné-Mensuel")
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Caricature Primaire de gauche
La Semaine de Suzette Zombi. Vendredi : Emmanuel Macron est le Fred Astaire de la scène politique française...
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Revue de presse BD (218)
Le Pont des fainéants à Châlons-sur-Marne, vu par Cabu.
+ Pour honorer la mémoire du caricaturiste Tignous, deux ans après son assassinat, la mairie de Montreuil en Seine-Saint-Denis a annoncé la création d'un prix Tignous du dessin de presse (ouvert aux seuls professionnels). Condition : envoyer un dessin (sans thème précis) entre le 1er février et le 30 avril.
"Le Monde" mentionne bizarrement la passion de Tignous pour les "jeux de rôles" ; heureusement pour lui, Tignous ne collectionnait pas les capsules de canettes de bière.
+ Cabu, de son côté, est honoré dans sa ville natale de Châlons-en-Champagne où il a été inhumé. La municipalité va lui consacrer un "espace" (sic), situé dans la maison de l'architecture. Ce choix est plutôt bizarre, car l'architecture et la satire sont deux arts radicalement opposés ; le premier vise à dissimuler ce que l'autre tend à dévoiler. Il est vrai cependant que Cabu a exprimé ses goûts et ses dégoûts en matière d'architecture et d'urbanisme dans plusieurs albums, dont "Revoir Paris" (Arléa, 1996), où son sens de l'observation fait mouche.
+ Deux journalistes, Marie Bordet et Laurent Telo, viennent de publier chez Fayard un livre-enquête sur les jours qui ont suivi l'attentat perpétré contre "Charlie-Hebdo" ("Charlie-Hebdo, le jour d'après") ; le sujet est relativement tabou, disent les auteurs, malgré le sacro-saint principe de liberté d'expression dont les victimes de la fusillade sont devenues le symbole.
Nous évoquerons ce bouquin un peu plus longuement dans "Zébra" ; d'ores et déjà on peut dire qu'il a une portée assez limitée, bien qu'il soulève l'épineuse question des rapports entre les "saltimbanques" de "Charlie-Hebdo" et la classe politique et médiatique.
+ Le reportage de Maiana Bidegain, "Sous les Bulles" (2013), diffusé sur Youtube, veut montrer l'envers du décors de la BD franco-belge. Les différents acteurs de la chaîne de fabrication détaillent les étapes de la production des bandes-dessinées, de la planche à dessin au circuit de distribution, en passant par l'imprimerie.
L'aspect artisanal de la bande-dessinée est utilisé par le service marketing des éditeurs afin de rendre cette industrie plus sympathique. Le reportage souligne que la plupart des auteurs de bandes-dessinées, dessinateurs ou scénaristes, sont moins bien payés que des ouvriers spécialisés.
En s'attachant à l'aspect économique, l'enquête rend le discours sur "l'art de la bande-dessinée" peu crédible. Il ressort en effet que la BD contribue surtout à la culture de masse. Elle est d'ailleurs menacée à moyen terme par d'autres formes de divertissement plus en vogue dans la jeune génération, ou par des produits bas de gamme (mangas, comics).
Le discours des capitaines d'industrie est à la fois le plus intéressant et le plus effarant ; hormis Guy Delcourt, patron de l'une des deux plus grosses maisons, qui assume la surproduction actuelle de bande-dessinées, tous les autres "responsables" font comme s'ils n'étaient responsables de rien dans l'évolution de la bande-dessinée au cours des dernières décennies, et qu'ils ne comprenaient ni la cause de la surproduction ni son sens. La surproduction est pourtant une caractéristique de l'industrie capitaliste, observable dans toutes les branches de l'industrie.
+ Le réseau des bibliothèques de Paris organise une opération pour redorer le blason des mathématiques, en train de se ternir selon certaines études. Les différentes bibliothèques proposeront des conférences (mi-janvier-début février) sur l'histoire des mathématiques ou leurs implications sociales.
Pour être plus précis, il faudrait parler de mathématiques modernes ou de "géométrie algébrique", car il existe en mathématiques plusieurs écoles contradictoires voire opposées.
Cette opération de promotion est paradoxale car le calcul occupe déjà une très grande place dans l'enseignement aujourd'hui, dès le plus jeune âge (au contraire du dessin, par exemple, complètement négligé). La méfiance ou le dégoût du public ne peut-il pas s'expliquer par les erreurs de calcul commises ces derniers temps par tel ou tel ingénieur, économiste, homme politique... ?
S'il est normal qu'une technocratie fasse l'éloge de cet instrument merveilleux que sont les mathématiques modernes, il est aussi logique que, du point de vue de l'expérience ou de la science, on se montre sceptique.
Sceptique par exemple vis-à-vis de l'opinion exprimée par Alain Badiou en exergue du document de promotion, selon laquelle les mathématiques sont simples. Si par "simple", on veut dire "imbécile", c'est sans doute vrai ; mais si par "simple", on veut dire "beau", bon nombre d'édifices modernes semblent plutôt témoigner en faveur de la laideur et de l'uniformité. Plus sérieusement, la sophistication de certaines hypothèses mathématiques modernes sont telles que leurs concepteurs s'avouent parfois incapables de les énoncer en langage ordinaire. Donc, si l'art est le plus souvent un plaidoyer en faveur de la simplicité, les mathématiques modernes, quant à elles, plaident nettement pour la complexité.
Tout aussi dépourvue de preuve l'opinion d'Alain Badiou selon laquelle "l'indifférence des mathématiques aux opinions dominantes est un modèle de liberté". Pour ainsi dire il s'agit là d'une opinion mystique, voire fanatique.
+ Cyril Bosc a récemment inauguré dans la petite commune de Baix (Ardèche), le CIBPRJSB (Centre international baixois de promotion des revues et journaux satiriques et de BD).
Cette association s'est donné pour vocation de mettre en valeur toute publication satirique ou de bandes-dessinées existante ou ayant jamais existé et dispose d'un fonds documentaire. La République laïque française accorde officiellement aux auteurs satiriques un place de choix ; mais qu'en est-il vraiment, au-delà des cérémonies politiques officielles ? Ne voilà-t-il pas un beau sujet de thèse à approfondir au CIBPRJSB ?