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clotilde bruneau

  • Jason et la Toison d'or****

    L'ancien mythe de Jason et la Toison d'Or nous éclaire sur la manière dont les Grecs conçoivent l'héroïsme. Luc Ferry, qui webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,mythologie,jason,toison d'or,luc ferry,alexandre jubran,clotilde bruneau,hercule,ulysse,homère,iliade,odyssée,nietzsche,mythe,grec,athéna,pélias,iolcos,colchidedirige cette collection d'adaptation des grands mythes en BD pour Glénat, parle dans sa postface d'"héroïsme métaphysique".

    En effet, les grands mythes héroïques, de Jason ou encore d'Hercule et d'Ulysse, promeuvent de façon allégorique une force qui surpasse la seule force physique. Il ne s'agit pas tant à travers ces histoires de héros, capables de relever des défis surhumains, d'exalter la force ou l'habileté, qu'une force spirituelle supérieure, que les Grecs nomment simplement "sagesse". Une telle force est aussi décrite de façon imagée dans la religion chrétienne par l'expression : "la foi soulève les montagnes".

    La diversité de ses héros fait la richesse de la mythologie grecque, en comparaison des super-héros américains qui, aussi nombreux soient-ils, incarnent tous un "super-pouvoir" de type technologique (ils sont tous "prométhéens").

    Le cas d'Ulysse est le plus éclairant sur cette notion d'héroïsme métaphysique, car la présentation en diptyque de L'Iliade et L'Odyssée, souligne le contraste entre Achille et Ulysse, deux héros bien différents. La bravoure d'Achille-aux-pieds-légers ne suffit pas ; elle échoue là où Ulysse réussit. Ce dernier étant placé sous la protection d'Athéna, on comprend que la sagesse mène plus haut que l'ambition plus terre-à-terre qui galvanise Achille. Une telle hiérarchie se retrouve entre Prométhée et Hercule.

    L'histoire de Jason, comme celle de Jésus, commence par une tentative d'assassinat. Pélias, qui a pris la place de son frère sur le trône d'Iolcos, a en effet cherché à en éliminer tous les descendants. Miraculeusement sauvé, Jason n'aura de cesse de chasser l'usurpateur et de remonter sur le trône, devant pour cela accomplir une épreuve symbolique -rapporter la Toison d'Or du royaume de Colchide, réputé inaccessible.

    Le mythe de Jason indique que les dieux ne sont pas de simples forces brutes naturelles ou élémentaires - ils ont aussi le sens de la justice.

    Les mythologies juive et chrétienne comportent de tels héros "métaphysiques", tel Samson, ou encore le cavalier en blanc de l'Apocalypse.

    Nombreux sont les érudits qui, au XIXe siècle, ont nié cet aspect "métaphysique" que L. Ferry ne craint pas d'affirmer. Nietzsche est le plus célèbre d'entre eux, qui pour le besoin de sa thèse historique néo-païenne, a inventé de toutes pièces une Antiquité grecque coupée de la métaphysique (qui a servi de modèle à la propagande mussolinienne ou nazie). Dionysos, autour duquel s'articule la théorie de l'art et de la jouissance de Nietzsche, n'est pas vraiment grec ; on le reconnaît précisément au fait que Dionysos est un antihéros.

     En dépit d'une esthétique plus proche des comics américains que des vases grecs, l'album présente le mythe de Jason de façon claire, et l'appendice rédigé par L. Ferry incite les lecteurs qui le souhaitent à déchiffrer l'allégorie.

    "Jason et la Toison d'Or - Tome 1", par Luc Ferry, Alexandre Jubran et Clotilde Bruneau, éds Glénat 2016.

  • Prométhée***

    Le mythe grec de Prométhée fascine depuis plusieurs siècles. Luc Ferry ne pouvait donc manquer de l'inscrirewebzine,dessin,presse,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,prométhée,pandore,luc ferry,glénat,clotilde bruneau,giuseppe baiguera,francis bacon,sagesse des anciens,lucifer,adam,ève,platon,protagoras,eschyle,hésiode,apollonios de rhodes au programme de la série d'albums consacrés aux mythes antiques qu'il supervise pour le compte des éditions Glénat.

    L'homme et la condition humaine sont en effet au centre de cette fable dont la littérature grecque antique donne déjà plusieurs versions (Hésiode, Eschyle, Platon à travers Protagoras, Apollonios de Rhodes...), sans compter les nombreuses versions latines.

    Au moyen-âge, le mythe biblique d'Adam et Eve, traitant du même thème sur le mode allégorique, éclipsa cette version grecque de la création de l'homme et des limites assignées à son génie. Plus érudite et moins soumise à la censure que le Moyen-âge, la Renaissance s'intéresse de plus près à la sagesse grecque et la confronte à la sagesse biblique.

    L'apogée de cette érudition est l'élucidation de quelques mythes grecs par le savant philosophe Francis Bacon Verulam (1561-1626), qui publia un mince ouvrage intitulé "La Sagesse des Anciens" ; cet ouvrage sera au XVIIe siècle un des premiers "succès de librairie". D'une certaine manière, la collection de bandes-dessinées dirigée par L. Ferry s'inscrit dans cette tradition.

    L'homme moderne est parfois qualifié de "prométhéen", dans la mesure où il préfère s'appuyer sur son propre mérite ou sa propre raison plutôt que sur une vérité venant du ciel, révélée par dieu. En procurant le feu et sa maîtrise à l'homme, Prométhée lui donne le moyen de dominer toutes les autres espèces vivantes et, par conséquent, un pouvoir titanesque (P. est le fils du titan Japet). Pour la raison qu'il repose surtout sur l'invention technique, on peut encore dire l'Occident moderne "prométhéen". Cela explique la reprise du mythe de Prométhée dans les temps modernes, tantôt pour exalter Prométhée, tantôt pour le flétrir ou montrer ses limites ("Frankenstein" de M. Shelley).

    Francis Bacon prend appui sur la fable grecque pour éclaircir la fable juive de la Genèse. La plus souvent les interprètes du moyen-âge prenaient au premier degré le mythe d'Adam et Eve, et son sens secret ou allégorique leur demeurait caché. L'analogie entre Prométhée et Lucifer permet ainsi de de mieux comprendre le sens de la sanction qui frappe l'humanité (le travail). Cette sanction ou cette peine peut s'interpréter en termes de limites.

    Promoteur acharné du progrès de la science, F. Bacon discerne dans le mythe de Prométhée une incitation pour l'homme à ne pas se reposer sur ses lauriers et à faire preuve d'humilité, au lieu de se comporter avec arrogance comme il fait trop souvent dans le domaine de la science : "Vient ensuite une partie de la parabole tout à fait remarquable. Les hommes, au lieu de manifester leur reconnaissance, se répandirent en reproches, s'indignèrent et entreprirent de dénoncer Prométhée pour le vol du feu devant Jupiter. (...) L'allégorie veut signifier qu'en accusant leur nature et l'art, les hommes font preuve d'un excellent état d'esprit, qui leur réussit, alors qu'en faisant le contraire ils attirent la haine des dieux et le malheur. Car ceux qui vantent à l'excès la nature humaine ou les arts déjà acquis, qui prodiguent leur admiration pour les choses qu'ils connaissent et dont ils jouissent, qui veulent enfin faire passer pour parfaites les sciences qu'ils professent et cultivent, ceux-là manquent d'abord de respect à la nature divine, puisque c'est tout juste s'ils ne donnent pas à leurs oeuvres le même degré de perfection."

    F. Bacon tire du mythe une mise en garde contre la confusion entre "progrès technique" et "science" dont on ne peut pas dire que la culture occidentale moderne a beaucoup tenu compte.

    Luc Ferry (philosophe disciple d'E. Kant) propose en annexe une interprétation du mythe plus conforme à la culture moderne ; parce qu'il s'ennuyait, du haut du mont Olympe, Zeus aurait créé l'homme afin de se divertir, explique L. Ferry. Prêter la "faculté" à Zeus de s'ennuyer, faculté typiquement humaine, revient à suggérer que Zeus est le produit de l'imagination humaine... Il ne s'agit pourtant pas dans le mythe grec de sonder l'intention de dieu, mais bien les limites de l'homme à travers son créateur, Prométhée. L. Ferry a d'ailleurs choisi de privilégier la version du sophiste Protagoras sur celle d'Hésiode, plus sévère à l'égard de Prométhée.

    Il est une question à laquelle Luc Ferry voudrait répondre à l'occasion de son travail de mise en valeur des mythes antiques : pourquoi continuent-ils de fasciner autant ?

    On peut répondre que le darwinisme et la théorie du "big-bang", qui jouent le rôle de substitut des mythes antiques dans la culture occidentale contemporaine (en fournissant une réponse à la question de l'origine de l'homme et de l'univers), se sont avérés impropres à fonder une sagesse, voire une éthique. Pire, le darwinisme a inspiré la théorie de la compétition raciale nazie, et il inspire encore celle de la compétition économique capitaliste. L'homme se voit réduit tantôt à sa dimension animale, tantôt à une "aberration" (Hubert Reeves), ce qui ne constitue pas moins une impasse sur le plan anthropologique. De façon surprenante, les mythes antiques paraissent mieux tenir compte de la réalité que les hypothèses fondées sur le raisonnement scientifique.

    Le triomphe de la raison moderne sur les mythes paraît un pur slogan au regard du champ de ruines et des massacres perpétrés au XXe siècle par les nations occidentales.

    Clotilde Bruneau, qui a effectué le travail d'adaptation scénaristique du mythe, soulève dans une interview une difficulté significative, à laquelle le travail d'adaptation en BD s'est heurté : tandis que la bande-dessinée moderne obéit au code de la fiction et se doit d'être chronologique, les mythes grecs ont avant tout une portée symbolique. L'incohérence des mythes antiques, qu'ils soient grecs ou bibliques, indique qu'ils recèlent une signification allégorique.

    De même, l'écart est assez net entre le type de dessin très "américain" retenu pour illustrer la collection, et la simplicité du dessin des vases grecs antiques sur lesquels les scènes de la mythologie étaient représentées.

    Prométhée et la boîte de Pandore, par Luc Ferry, Clotilde Bruneau et Giuseppe Baiguera, éd. Glénat 2016.