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kritik - Page 21

  • Incidents****

    Après l’humour viking de Dagsson précédemment, dirigé contre la moraline démocratique, qui semble webzine,gratuit,bd,fanzine,bande-dessinée,incidents,critique,kritik,danil harms,dagsson,les vieilles qui tombent,gérald auclin,nicolas zabolocki,hoochie-coochiefondre au même rythme que cette chère banquise, voici un exemplaire de l’humour anticommuniste de Daniil Harms, illustré par Gérald Auclin.

    On pourra trouver Harms beaucoup plus subtil que Dagsson. Mon opinion est que la différence tient au type de censure que ces deux esprits satiriques affrontent. En Union soviétique, ironiser sur la société et les projets de réformes grotesques du socialisme était passible du goulag. Daniil Harms, arrêté par le NKVD en 1941, n’échappa à la condamnation à mort qu’en simulant la folie.

    Tandis qu’en démocratie on peut tout dire… à condition de trouver un financement. Et d’avoir des choses à dire, qui dépassent le niveau de l’indignation policée de Stéphane Hessel, ou les chroniques de Jérusalem pasteurisées de Guy Delisle.

    C’est l’histoire du dessinateur Ted Rall, qui a plein de choses à dire dérangeantes sur l’Afghanistan, mais qui, pratiquement, est empêché de s’y rendre, vu les frais exorbitants de ce genre d’expédition, comparée à un safari au Kenya.

    La 4e de couverture présente Harms comme un écrivain pour enfants pédophobe. Ils devraient tous l’être ! Ainsi que les instituteurs. La pédagogie est une science suffisamment trouble pour qu’on ne l’éclaircisse pas avec une bonne dose de pédophobie. En l’occurrence, l’éditeur nous rappelle que Harms n’aimait pas les enfants, mais qu’il fut condamné à écrire pour eux. « Exterminer les enfants est cruel. Mais il faut bien faire quelque chose contre eux. », dixit Harms.

    On est loin du défi extraordinaire de Shakespeare, ou même Molière, à la puissance publique. Harms se contente de rappeler, un peu à la manière d’Alphonse Allais, que la vie est absurde ; par conséquent le socialisme, qui entend lui donner une direction précise, ne peut que renforcer la férocité de cette « usine de lames de rasoir », comme dit Allais pour parler de la vie.


    webzine,gratuit,bd,fanzine,bande-dessinée,incidents,critique,kritik,danil harms,dagsson,les vieilles qui tombent,gérald auclin,nicolas zabolocki,hoochie-coochie« Les vieilles qui tombent »
    est mon préféré dans ce recueil : «Par excès de curiosité, une vieille bascula par la fenêtre, tomba et se tua. Une autre vieille se pencha pour regarder celle qui s’était tuée, mais sa curiosité la fit elle aussi basculer, elle tomba et se tua. Puis une troisième vieille bascula par la fenêtre, puis une quatrième, puis une cinquième. Quand la sixième fut tombée, j’en eus assez et partis au marché Maltsevski où on avait offert un châle à un aveugle. C’est tout.» Et encore cet aphorisme intercalaire : "Ce serait bien de prendre au lasso les vieilles qui portent en elles des pensées raisonnables."

    D’ailleurs Harms charrie : le socialisme est un truc de vieille, bien plus qu’un truc de gosse. Je n’ai jamais connu un seul gosse qui soit socialiste. Le socialisme est encore plus chiant que la messe orthodoxe ou les films de Godard !

    Les illustrations de Gérald Auclin, découpées dans le papier, insistent sur le côté géométrique totalitaire et oppressant, avec tous ces angles. De fait, dans le monde totalitaire, l’homme ressemble de plus en plus à une œuvre d’art numérique, et les rapports humains sont de plus en plus facilement transposables en équations ou en inégalités.

    Incidents, par Daniil Harms & Gérard Auclin, The Hoochie Coochie, 2011.

    (Ill. : caricature de Danil Harms par Nicolas Zabolocki.)

  • J'aime pas la crise***

    On s'étonne parfois à l'étranger du tempérament "râleur" des Français. Non seulement la vie est atroce, webzine,gratuit,zébra,bd,bande-dessinée,caricature,marc large,alévêque,crise économique,critique,kritik,zombi,français,esclavage,aristote,travail,voltaire,hoëbekemais il faudrait faire bonne figure, être content de subir la dictature de la vie, la pire de toutes, puisque toutes les autres en dépendent !?

    Si appliqué aux choses vaines (travail, famille, patrie), l'étranger ne se rend pas compte que cette absence de décalage le prive de l'humour, et qu'il se laisse ainsi complètement instrumentaliser par la vie. Adolescent, j'ai passé quelques semaines dans le Nord de l'Allemagne: c'est dingue comme ils prennent la vie au sérieux dans ces contrées ! C'était la première fois que je voyais des cours de ferme propres.

    L'introduction de l'humour dans les milieux ouvriers, principalement déportés en Asie aujourd'hui, pourrait avoir pour effet de les dissuader de s'adonner à cette tâche pour laquelle l'homme n'est pas fait, comme dit Aristote : le travail (ce qui lui vaut les railleries du Prussien esclavagiste Voltaire).

    C'est ce que j'ai pensé en feuilletant le dernier album de Marc Large: comme l'esclavage est largement délocalisé aujourd'hui, la principale tâche des pays riches étant d'absorber les fruits de la croissance, il faudrait larguer des caisses de cette BD au-dessus des pays où l'esclavage sévit. Ils verraient que la crise n'empêche pas les Français de se marrer. Bien sûr, on est tous conscients que nous devons des tonnes de milliards aux dirigeants des dictatures où la sueur et le sang sont meilleur marché. Peut-être seront-ils ainsi renversés bientôt, à cause du défaut de paiement de nations mieux armées qu'eux ? Leurs têtes coupées, voire pire encore. Mais bon, c'est la vie, et ce n'est pas en lui léchant le cul, ni en faisant les trois 8 qu'on trouvera une solution.

    Le paradoxe de cet album est de mélanger des dessins humoristiques qui prennent le parti de rire de la crise économique, qui n'est jamais que le symptôme du vieillissement d'un système, avec des bafouilles de Christophe Alévêque, qui manquent de sérieux. L'humour est un truc sérieux. Voyez les universités : elles sont remplies ou presque de statisticiens, c'est-à-dire de prévisionnistes, qui ont été les premiers surpris par l'aggravation subite de la crise. Donc pleine de gens pas très sérieux. Tout en étant parfaitement sinistres, comme il vous suffit de vérifier en ouvrant la télé sur la première émission consacrée par de doctes experts à la question économique.

    M. Alévêque prétend que les patrons se servent de l'argument de la crise pour baisser les salaires et rogner les primes. Evidemment, je comprends que le type qui a pris un crédit sur trente ans pour s'acheter un pavillon puisse être emmerdé. Mais, s'il avait eu des instituteurs un peu plus responsables, ils lui auraient enseigné à se méfier des banquiers comme de la peste. C'est donc plutôt un problème d'éducation. La réalité des catastrophes engendrées par la mécanique économique au cours des derniers siècles est bien différente de ce que décrit M. Alévêque. Elle vient bien de la foi inébranlable dans la croissance économique et l'éternel retour du profit.

    "J'aime pas la crise", M. Large et C. Alévêque, éd. Hoëbeke, 2013.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

     

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  • Le Train où vont les Choses***

    Si la bande-dessinée était un "art séquentiel", pour reprendre cette métaphore mécanique, alors Fred webzine,gratuit,bd,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,au train ou vont les choses,lokoapattes,fred,philémon,philosophie,platonicienne,zombiserait le grain de sable dans cette machine; en effet, la "lokoapattes", véhicule bizarroïde inventé par Fred pour simuler le moteur de son imagination (cf. couverture ci-contre), ne tourne pas rond.

    Comme toutes les machines à moitié calées en rase campagne, elle pète et elle pue. Tenez, là, Fred envoie un vent: « Dans le monde des lettres et ailleurs, tout le monde fait semblant de se connaître… mais personne ne se connaît… C’est chacun pour soi… »

    En définitive, le prolo n’était pas trop à plaindre, sur sa machine-outil: les choses se déroulaient de façon parfaitement séquentielle jusqu’au +décès+, que la concentration sur l’écrou à serrer lui permettait d’oublier, jusqu’au moment fatidique. Le fils de prolo au chomedu, lui, est bien plus dans la merde, à cause de la mélancolie (+/-) qui lui tombe au coin de la gueule; au lieu de marcher droit, il va en zig-zag et se cogne dans les arbres. Le cinéma essaie bien un peu de compenser ça, avec son cliquetis régulier et monotone, mais ça ne marche qu’à moitié.

    Fred va bientôt mourir, alors il aimerait bien n’avoir pas dessiné tous ces albums de BD pour des prunes. La mort nous pousse à vivre: on n’ose pas la défier. La société nous en dissuade: toute sa valeur religieuse tient à ça. C'est ce qui fait le succès international du socialisme, son triomphe sur la formule catholique précédente; les papes vendaient du rêve "bio", en quelque sorte, inaccessible à toutes les bourses; le socialisme est un grand supermarché, qui fourgue des rêves de moins bonne qualité, mais en quantité industrielle, à l'échelle mondiale. En matière de rêve, Fred était trop exigeant, c'est pour ça qu'il a calé.

    Fred est dégoûté. Pourtant, Philémon a l’air si jeune… Il en prendrait bien encore pour dix ou quinze épisodes.

    *

    Certains artistes s'évertuent pour durer au-delà de la mort. C'est un vieux débat entre Diderot et le sculpteur Falconet. Diderot dit: -L'artiste vise avant tout la gloire; Falconet répond: -Non, moi je m'en fous de la gloire, l'art me suffit. Et comme Diderot était un vieil hypocrite, sympa mais faux-cul, voyant que les arguments de Falconet sont plus solides que les siens, plus "matérialistes", Diderot s'abstient de publier ce débat, comme il en avait primitivement l'intention. Falconet a raison: non seulement la gloire est un piège, mais l'artiste est dans la meilleure position qui soit pour le comprendre.

    Fred, lui, n'est pas assez naïf pour croire dans la gloire; en même temps que son imagination, dont le moteur est sans doute trop mécanique, se heurte à la dure réalité de la mort, sans parvenir à l'écarter.

    Les BD de Fred vont à l'encontre de la scolastique, qui veut que le scénario, la fiction l'emporte sur le dessin en bande-dessinée. Chez Fred, c'est l'inverse, le dessin l'emporte. Sans le dessin de Fred, on resterait au niveau de la philosophie à la mords-moi-le-noeud de Moebius+Jodorowsky (qui, soit dit en passant, à passé sa vie à ne pas apprendre à dessiner).

    Les BD de Fred sont d'abord et surtout des invitations à dessiner; ça vaut mieux que tout l'art numérique, qui est une invitation à se soumettre à des codes.

    (Zombi, déjà mort mais pas tout-à-fait - leloublan@gmx.fr)

  • Et ça vous fait rire ?***

    Dans une époque cynique comme la nôtre (au point d'inventer des "soldats de la paix" (!), ce genre webzine,gratuit,bd,zébra,bande-dessinée,fanzine,zombi,critique,kritik,et ça vous fait rire,viking,humour,hugleikur,dagsson,d'humour devait arriver...

    Le critique du supermarché où je me suis arrêté une heure pour lire des BD à l'oeil, confesse au stylo bille sur un petit carton: "Je n'ai pas pu m'empêcher de rigoler !"

    C'est hyper-malin de confier la rédaction de ces petits cartons aux vendeurs pour leur donner de l'importance; souvent ce sont des bac+5 qui n'ont pas pu être profs, vu la compétition, et ça leur fait une sorte de compensation; c'est comme d'écrire un blog, mais avec plus de lecteurs ; ça marche aussi avec moi, les petits cartons ; je les lis tous, comme les livres d'or à la sortie des musées, guettant le vendeur qui écrira : "Cette BD de Joann Sfar est une grosse daube, ne l'achetez surtout pas !", avant de démissionner.

    Donc Hugleikur Dagsson prends les dix commandements systématiquement à contrepied (1. Devant la Femme te prosterneras ; 2. Adolf Hitler et les nazis tu conspueras une phrase sur deux ; 3. Les journalistes tu prendras pour des envoyés de dieu ; 4. Les pauvres Africains tu plaindras ; 5. La planète tu tenteras de sauver en triant tes déchets ; 6. Même homo, te marieras, etc., etc., je pourrais en écrire 100)

    "A la manière de "South Park", pour ceux qui connaissent ce dessin-animé yankee. Le dessin est aussi dépouillé d'artifice. Rien que pour ça, je dis : - merci Dagsson !... vu le nombre de BD dessinées au compas, à la règle et au rapporteur qui nous tombent sur le coin de la gueule en provenance des US.

    Hugleikur, manifestement, est Viking. Ceci explique sans doute cela. Chez les Vikings, ce sont les femmes qui commandent, traditionnellement, vu que les hommes ne sont jamais là. Donc ce genre d'humour, un peu "brut de décoffrage", ni plus ni moins subtil que le monde dans lequel nous vivons, est in-dis-pen-sa-ble, pour évacuer la pression. J'ai mis seulement trois *** : mais pour ceux qui ont une mère un peu plus pénible que les autres (grâce à dieu, la mienne était presque toujours alitée), ça en vaut cinq, ou une boîte de pilules, ou un gros pétard du Cap-Vert.

    Si pour vous les occasions de rire sont nombreuses, tant mieux pour vous. Moi j'aime mieux ne pas en laisser passer une. Surtout à l'oeil.

    Et ça vous fait rire ? Hugleikur Dagsson, éd. Sonatine, traduit du viking, format poche (si vous connaissez une personne suicidaire, vous pouvez toujours déposer ça à l'endroit où elle range sa corde), 2009 ; prix : trop cher.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

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  • Sidi Bouzid Kids - La Révolution tunisienne*

    Cet album publié chez Casterman (KSTR) raconte la récente révolution tunisienne… telle webzine,gratuit,bd,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,sidi bouzid,casterman,kritik,révolution tunisienne,alex talamba,mohamed bouazizi,historien,shakespeare,marx,nietzsche,ben ali,facebook,twitter,facebook,alliot-marieque les Occidentaux aimeraient qu’elle se soit déroulée: une poignée de jeunes Tunisiens, épris de liberté et inspirés par les idéaux de la révolution française, renverse le tyran Ben Ali grâce à Facebook et Twitter. Pas besoin d’être abonné au «Monde diplomatique» pour deviner que ce récit est cousu de fil blanc, le décalque presque parfait des journaux télévisés servis par TF1 ou France 2.

    Sans être aussi réactionnaire ou conservateur que Nietzsche, ennemi de tout ce qui fait bouger la société, on peut affirmer que cette manière de raconter le processus révolutionnaire est la plus débile possible. Elle fait fi de l’histoire ; or l’histoire est le seul terrain où les tyrans ne dominent pas les peuples. L’historien doit toujours lutter contre la légende dorée. Shakespeare contre la légende médiévale arthurienne, Marx contre les contes pour enfants des Républiques libérales à base de grand architecte de l'univers, etc.

    En l’occurrence, la légende dorée en filigrane de cette BD est celle de la révolution bourgeoise et de la souveraineté populaire/droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

    L’idée que le régime bourgeois libéral constitue un progrès, dont nous, Occidentaux, bénéficions, tandis que le reste du monde demeure largement soumis à la tyrannie est une idéologie : - primo, contestée par bon nombre d’historiens ; - deuxio, d’une arrogance sous-jacente à l’entreprise colonialiste ou impérialiste depuis le XVIIe siècle, dont les émeutes contre Ben Ali, et le renversement de son gouvernement ne sont qu’un épisode sanglant parmi d’autres. Non pas une "avancée", mais une "secousse".

    La «souveraineté populaire», du moins dans son dispositif électoral moderne, est une invention occidentale, inculquée comme le catéchisme au reste du monde. C’est-à-dire que, comme certains athées arguent que dieu demeure obstinément invisible, on peut aussi bien en dire autant de la démocratie. En réalité, ne tarde-t-elle pas aussi à se montrer, ailleurs que dans les discours ronflants des politiciens, ou dans le désir inassouvi du peuple tunisien d’être libéré de son joug ? La formule englobe tous les eldorados et les edens truqués depuis que la religion existe : "la possibilité d'un île", dit untel.

    On constate que cette promesse de démocratie réelle consolide aussi bien l’ordre public tyrannique, qu’elle joue un rôle dans le déclenchement de la rébellion ou de la révolution.

    L’histoire nous enseigne en outre que c’est exactement le rôle que «dieu» a pu jouer sur le plan social auparavant – le plus souvent mis au service de l’ordre public, parfois brandi «a contrario» comme un argument révolutionnaire, y compris par certains artisans de la Révolutionnaires de 1789. De même, encore aujourd'hui, Allah et la révolution sont confondus dans les revendications de certains révolutionnaires musulmans. Ajouter "allah" est même sans doute une façon de dire pour les Maghrébins qu'ils ne copient pas l'Occident.

    L’idée de démocratie moderne n’a rien à voir avec Platon : elle est entièrement tributaire de la façon dont dieu a été défini par le clergé dans l’Occident moderne. Platon émet des hypothèses pour 200.000 Athéniens.

    La démocratie n’est donc qu’une version laïcisée ou populiste de dieu. «Populiste», dans la mesure où les élites des nations dites «démocratiques» agissent sciemment à l'écart, ou en dépit des principes égalitaires ou de fraternité requis.

    Bien qu’il ne perçoive pas tout le profit pour l’élite d’une telle métamorphose du dieu de l’ancien régime en démocratie, ou le caractère inévitable de cette métamorphose, Nietzsche a raison de ne voir dans ce processus qu’un simple désordre, et non un progrès. L’idée de progrès est martelée par la propagande libérale, à laquelle cet album de BD sur la révolution tunisienne contribue, sans que ses auteurs aient fait le moindre effort de synthèse, écrivant un récit aussi naïf que les images d'Epinal sur Jeanne d'Arc ou Napoléon.

    Michèle Alliot-Marie joue dans cette BD le rôle de la méchante Occidentale conservatrice, de mèche avec le tyran Ben Ali : ce procédé manichéen permet d’éviter de poser le problème dans les termes réels où il se pose, depuis le début de l’aventure coloniale : à savoir, non pas de l’intérêt privé de ladite Alliot-Marie, exécutante de basses-œuvres parmi tant d’autres, voire de Ben Ali, mais en termes d’intérêt pour la société civile française dans son ensemble, luttant pour le maintien de l’influence de la France en Afrique.

    Que font aujourd’hui les troupes françaises au Mali, mandatées par un gouvernement de gauche, si ce n’est rétablir l’ordre à la demande du gouvernement malien, répondant à une sollicitation que Mme Alliot-Marie n’a pas eu le temps de satisfaire en Tunisie ? Ce qu’il faut remarquer, puisque l’ingérence coloniale sous divers prétexte n’est pas un fait nouveau, c'est qu'elle obéit à une tactique extrêmement hasardeuse, la plus propice à installer le chaos et la zizanie, en lieu et place de la liberté rêvée ou promise. Un plan de pénétration-retrait. Ce que la BD rappelle quand même, c'est que l'intervention française, si elle avait eu lieu, sous une forme ou une autre, aurait été justifiée par la lutte contre le terrorisme par le régime de Ben Ali. Ainsi que la répression à l'aide de snipers qui fut brièvement mise en place. Le régime de Ben Ali est tombé pour des raisons économiques. As usual. Il est tombé très vite de n'avoir pas pris la mesure de son extrême faiblesse économique.

    Sans doute la meilleure raison de faire du reportage en BD est pour inverser ce type de discours simpliste, véhiculé par «Sidi Bouzid Kids», qui prend surtout ses lecteurs pour des "kids", répétant ce qu’on entend dans les journaux télévisés, et qui est conçu pour entraver le moins la digestion du téléspectateur.

    Deux ou trois dépêches recopiées des journaux en fin d’album, sont plus intéressantes que le scénario précédent, mis en image par Alex Tambala, dessinateur roumain, dont je ne nie pas l’habileté.

    Notamment l’une de ces dépêches suggère que le suicide de Mohamed Bouazizi, qui s’immola par le feu en décembre 2010 après avoir été giflé par une policière, pourrait n’être qu’une légende. C’est-à-dire l’immolation, avérée, mais la cause du suicide demeurant mystérieuse. Ce genre d’anecdote ou de détail, de même que la perversité de l’épouse de Ben Ali, sont montés en épingle pour deux raisons : d’abord parce que la propagande se nourrit de détails, et consiste à focaliser l’attention du public dessus, ensuite parce qu’il est flatteur et confortable pour l’homme de croire que tel ou tel peut peser par une action, isolée ou collective, sur le cours des événements : ce qui revient à une conception climatique ou phénoménologique de l’histoire, dépassée depuis des milliers d’années… au moins depuis Homère.

    Sidi Bouzid Kids, par Eric Borg et Alex Talamba, Casterman, 2012.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • En Silence***

    La critique doit non seulement s’efforcer de déceler l’esprit d’un bouquin s’il en a, mais elle doit aussi webzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,en silence,audrey spiry,kstr,kritik,zombi,rivière,sexe,torrent,vouivresavoir rester silencieuse devant un objet qui ne se prête pas à la critique. Pourquoi y a-t-il des critiques musicaux qui s’efforcent de démontrer que Wagner est supérieur à Vivaldi, ou vice-versa, quand les amateurs de musique disent qu’ils n’ont pas besoin de la critique ? Qu’ils aiment tel truc ou tel autre, parce que c’est leur bon plaisir. Point à la ligne. Critiquer la musique doit être une sorte de musique en soi, je suppose, celle de ceux qui ne savent pas jouer d’un instrument ou composer, ou qui n’ont pas de voix…

    Ce préambule pour m’excuser de faire quand même la critique d’une BD aussi impalpable. Une pure symphonie de couleurs. Il est bien vrai qu’en matière de couleurs, il est inutile de discuter: je suis incapable de dire qui d’autre que moi pourra être touché par cette BD d’Audrey Spiry, qui fait vibrer la corde érotique, d’une façon très féminine ? Disons qu’il faut peut-être, comme je le fais, situer la baignade dans le lit d’une rivière froide parmi les trois ou quatre plaisirs les plus élevés dans ce monde, et qui fait que dès que je passe à proximité d’une rivière, je ne peux pas m’empêcher de me jeter dedans, y compris si elle Vilaine.

    Une bande de touristes au fond d’une gorge profonde descend le cours d’un torrent, tantôt coquin, tantôt brusque, glouton, affolant. Voilà pour le scénario. Ajoutez quelques "flash-back", à cause du lien entre l'eau et la mémoire. Bien sûr tout est sexuel là-dedans. Zéro imagination de ma part.

    Ce qui est remarquable chez Audrey Spiry, c’est la manière dont l’érotisme occupe toute sa fiction, le point où elle parvient à faire pratiquement corps avec la rivière, la traduisant dans son dessin comme le personnage principal. D’habitude c’est le scénariste qui nous mène, pliant le dessin à sa volonté ; là, c’est la rivière, qui nous entraîne.

    Les rivières sont des dévoreuses d’hommes, comme l’esprit des rivières, qu’on nomme «vouivre», et qu’il vous est peut-être déjà arrivé de rencontrer, comme moi, dont il vaut mieux prendre l’avertissement très au sérieux. L’homme – je ne sais pas si les femmes aiment vraiment se baigner dans les rivières froides, sauf pour ensuite se réchauffer au coin du feu ? -, l’homme disais-je, qui va au bain, entre dans le lit d’une femme beaucoup plus puissante que lui, situation inédite, et dépucelage qui peut avoir des conséquences gravissimes si la rivière veut cet homme pour elle et pour elle seule.

    Se baigner dans la mer est plutôt dégueulasse, en comparaison. Pas seulement parce que de très gros poissons baisent dedans. Pour ma part, je laisse ça aux poètes oedipiens, fascinés par leur maman. Aux Italiens, qui voudraient que l’eau soit toujours à 37°C.

    NB : Il ne faut pas s'attendre à ce que je traite d'une BD de cul chaque semaine non plus. Là je l'ai fait, exceptionnellement, parce que c'était la journée de la femme.

     

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    En Silence, Audrey Spiry, KSTR, 2012.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • Ouvrier***

    (Mémoires sous l’Occupation, vol. 1)

    Je reprochais récemment au dernier album de Tardi d’après son père, cet antihéros, le mélange deswebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,ouvrier,occupation,bruno loth,jacques tardi,collaboration,louis-ferdinand céline,front populaire,guerre,résistance,bordeaux genres («Moi, René Tardi»). Il n’est pas interdit, comme Louis-Ferdinand Céline, de mêler le drame personnel à la peinture d’histoire, bien au contraire. Mais le drame, Céline l’a vécu, et le péché atroce qu’il a commis, de partir à la guerre la fleur au fusil, et tout ce qui s'ensuit à quoi la légalité n'enlève rien, il s’en accuse d’abord au premier chef ; ça permet à ses meilleurs romans de ne pas verser dans la morale édifiante, voire d’atteindre l’humour humble du cocu qui sait qu’il est cocu et s’en moque autant que possible (Les soldats sont des cocus qui reviennent avec des blessures plus profondes que les blessures d’amour).

    Le drame de Tardi Jr est seulement d’avoir eu un père, ancien prisonnier de guerre aigri et radoteur, s’accusant d’un péché bien différent: celui d’avoir connu la défaite.

    Céline est d’ailleurs un auteur pleinement populaire, et non populiste. Il n’accuse pas seulement les élites «judéo-maçonniques» et cléricales du péché de la Grande Guerre, mais aussi les prolos et les paysans, les employés de son rang, de se laisser conduire systématiquement au néant par le joueur de flûte –de préférer le bar-PMU à l’histoire.

    De populisme on ne trouve pas trace non plus, ou presque pas, dans la BD-témoignage de Bruno Loth d’après son père, et donc pas le «pathos» psychologique sur la relation père-fils. «Mon père avait entre 20 et 25 ans, c’est un témoin direct, et ses souvenirs d’homme ordinaire m’apparaissent aujourd’hui comme une véritable aventure.» C’est assez malin, plutôt que de s’inventer un drame, de tirer de celui, réel, vécu par son père, matière au récit. Mais l’auteur exagère un peu, car ce n’est pas exactement ici un récit d’aventure.

    Jacques Loth, illustré par son fils, nous narre les conditions de la collaboration forcée des ouvriers des chantiers navals de Bordeaux, ô combien stratégiques en temps de guerre. La résistance? Bien peu s’y risquent. Jeunes, sans famille, jugés inconséquents par leurs parents le plus souvent. Travail et nécessité de gagner sa croûte, bien que l’Allemagne porte ces valeurs au pinacle, font loi bien au-delà des frontières de ce pays, et notamment parmi les ouvriers qui, pour ainsi dire, n’en connaissent pas d’autres. La résistance est un luxe. On s’étonne de l’ampleur des représailles, après qu'un officier allemand a été abattu. Lorsqu’un de ses potes est fusillé, Jacques est stupéfait, lui qui est si doux, au point que sa fiancée le largue en cinq sec, si gentil qu’il ne ferait pas de mal à un Allemand. Tout l’intérêt de ce témoignage réside dans la douceur du personnage, selon moi, qui promène un regard étonné parmi ses contemporains plus vifs, occupés dans tous les sens du terme, et rend donc un témoignage moins militant ou moins passionné de cet épisode d’Occupation.

    Le défaut est, a contrario, d’une vision un peu idyllique du monde ouvrier, lisant des bandes-dessinées et partant jouer aux trappeurs l’été au bord de l’eau (au cours du Front populaire), tels des boy-scouts. Pour un peu on pourrait penser que, «si tous les ouvriers du monde se donnaient la main, ce serait la fête à l’humanité, etc., etc .»… suggestion qui aurait certainement fait ricaner Céline, comme les images d’Epinal stalinienne. On sent peu la dureté de la mécanique, imprimée le plus souvent sur l'ouvrier.

    De même on peut supposer que le jeune homme Céline, plutôt agité, s’il avait connu l’Occupation et non joué les héros en 14-18 précédemment, se serait lancé dans quelque coup de résistance saignant, contrairement au héros de la BD. Pourquoi ? Eh bien pour connaître l’aventure, pardi, celle que le destin dicte d’en-haut aux hommes, et contre laquelle ceux qui préfèrent cultiver leur jardin ou astiquer leur moto ne peuvent rien.

    Ouvrier, par Bruno Loth, éd. La Boîte à Bulles, 2012.

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)