Correspondant de l'AFP à Rennes au début des années 90, Nicolas Auffray y découvre le microcosme des fanzines de BD bretons et leurs auteurs.
D'abord surpris, comme le gamin qui découvre en soulevant un gros galet à la plage une myriade de petites bestioles -puis fasciné, ainsi qu'il l'avoue sans ambages : "Comment peut-on faire quotidiennement de la bande-dessinée depuis une quinzaine d'années sans en gagner sa vie ?" -N. Auffray vient de publier "Une Scène dans l'ombre", livre-enquête sur le milieu "underground" des "fanzineux" rennais (éds. Goater).
Plus "underground", tu meurs ! Pour un peu on taxerait "L'Association" de parisianisme, en comparaison. J'exagère à peine : en effet, le sort des fanzines rennais est lié à la dèche assumée de leurs auteurs (tandis que le succès médiatique de Marjane Satrapi a propulsé "l'Association"). N. Auffray fait bien le distinguo, et souligne l'indépendance, pour ne pas dire l'entêtement de ces jeunes Bretons à rester les seuls maîtres à bord de leurs frêles publications.
Les scrupules de N. Auffray sont à la fois la qualité et le défaut de son ouvrage. D'abord le scrupule consiste dans le grand respect des protagonistes de cette aventure, qu'on devine presque tous écorchés-vifs, et fabriquant des fanzines comme une seconde peau, pour se donner une raison sociale moins floue que celle qui leur a été commise d'office. Sans doute ce scrupule s'imposait pour obtenir un bouquin, non pas voyeuriste, mais suffisamment précis pour être palpitant (bien que je déteste les choses existentielles, dont il est beaucoup question dans ce livre et ces fanzines, je n'ai pas eu de mal à le lire).
L'enquêteur ne laisse aucun aspect sous silence et leur consacre à chacun un chapitre : du rôle de la fac d'art plastique (Rennes est un des plus gros campus de France), jusqu'à l'échec du festival "Périscopages", tentative d'organiser à Rennes un festival de BD indépendante, en passant par l'appui de la librairie "Alphagraph" et son fanzine hébergé "Chez Jérôme Comix" ; sans oublier le patronage de Laure Del Pino et Olivier Josso, plus ou moins décrits comme les Bonnie & Clyde de la BD underground.
En revanche, N. Auffray, ne répond pas, ou peu, à la question assez lancinante qu'il pose au début : pourquoi ? A quoi bon une telle dépense d'énergie, pour un rapport aussi faible, assortie d'une volonté aussi farouche d'indépendance ? Ceux qui, comme moi, préfèrent les réponses aux questions, resteront sur leur faim.
Zombi
Commentaires
J'ai moi-même quelques réserves de forme sur cet ouvrage (que j'ai eues l'occasion de partager directement avec son auteur) mais ce compte-rendu, assez juste sur la question de départ un peu oubliée en route, me semble par contre quelque peu caricatural sur deux points :
1- les "protagonistes de cette aventure, qu'on devine presque tous écorchés-vifs". Les aspects qu'on devine ne sont-ils pas surtout significatifs des propres représentations ou fantasmes du rédacteur à propos de l'"Artiste" ?
2-"l'échec du festival "Périscopages", tentative d'organiser à Rennes un festival de BD indépendante". Si on sent Nicolas Auffray contrarié que Périscopages (manifestation que j'ai animée) s'arrête, entre autres, par un déficit de reconnaissance institutionnelle, l'"échec" et la "tentative" que vous évoquez ne reflètent pas la réalité de dix années effectives de travail, de rencontres et d'échanges !
(Coïncidence, j'étais précisément en train de bouquiner un Morvandiau.)
D'abord, vous devez en savoir plus long que moi sur le sujet et les protagonistes, ou même l'auteur du bouquin. J'en ai causé avec un confrère de Zébra : lui n'a pas remarqué non plus le côté "écorchés-vifs" que je signale. Un point pour vous. Cela dit vous comprendrez qu'à la question posée par le journaliste : pourquoi tant d'efforts et d'entêtement pour un résultat si maigre ?, on soit tenté de répondre spontanément: par masochisme, en incluant dans cette réponse la quête d'un plaisir minimal qui est celle des masochistes (sans quoi ils ne seraient pas des masochistes, mais des suicidés). J'ai bien une idée précise de l'artiste, mais je ne crois pas qu'elle interfère ici. En revanche, mon opinion sur Rennes et les Bretons, sans doute. Elle n'est pas éloignée de celle de L.-F. Céline, artiste qui les a bien connus aussi, comme moi, et jugés particulièrement aptes à aller se faire bousiller la gueule au service des causes les plus obscures, et dans lesquelles ils n'ont RIEN A GAGNER. Cette observation a pu fausser ma critique. Une théorie climatique, en quelque sorte.
- Je me permets de vous poser une question : pourquoi tous ces volontaires pour l'art postulent-ils dans des écoles et des facultés "d'art plastique", où, c'est de notoriété publique, tout ce qui n'est pas à la mode est méprisable, méprisé, voire plastiqué ? N'entre-t-il pas dans cette démarche, encore une fois, un brin de masochisme ?
- A propos de "Périscopages", je n'ai pas senti la déception d'Auffray, mais lu un rapport assez circonstancié et vivant des différents points de vue parmi les metteurs en scène et acteurs de ce festival ; cru comprendre que certains dessinateurs ne se satisfaisaient pas du statut d'acteur (il est vrai un des plus dégradants, il n'y a qu'à voir dans quel état Depardieu est maintenant). S'il est déçu, N. Auffray est bien naïf ; je ne connais pas de municipalité qui subvienne à un festival quelconque pour servir autre chose que son plan de communication. Avec tous les profs qu'il y a à Rennes, j'imagine assez mal, par exemple, un festival Céline.
- Sur la forme, je ne trouve rien à redire à ce bouquin, qui respecte même l'abnégation des auteurs avec sa grisaille en couverture. Pour tout dire, j'ai même été stupéfait d'autant d'honnêteté de la part d'un journaliste de l'AFP.
- Au plaisir, donc (si je peux me permettre).