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Caricature Jean-Luc Mélenchon
par l'Enigmatique LB
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Henry de Groux - Journal***
Les trompettes de la renommée sont parfois bien mal embouchées... Pourquoi Van Gogh, Cézanne, Gauguin, sont-ils célébrés dans le monde entier, tandis que Henry de Groux (1866-1930) demeure inconnu ou presque ? Il y a pourtant dans l'oeuvre et l'existence chaotique du peintre bruxellois tous les ingrédients pour fasciner le public...
A l'instar de Nietzsche, de Groux serait-il trop sulfureux pour notre époque ? C'est peut-être une explication... Plus sûrement, la complexité assumée de de Groux, le caractère inclassable de son oeuvre, déroutent les fabricants d'étiquettes que l'on appose sous les tableaux pour permettre au public et aux étudiants de les digérer plus facilement. L'étiquette "symboliste", qu'on colle parfois à de Groux, ne souligne qu'un aspect de sa peinture.
Le volumineux Journal que de Groux a laissé derrière lui dévoile une personnalité aux nombreuses facettes. Doublement attiré par la rédemption, d'une part, et par Satan d'autre part (le dieu des artistes), on pourrait qualifier ce peintre épris d'imagination de "baudelairien".
Ce travail opiniâtre de consignation des faits intimes, sentiments, cauchemars, observations critiques, laissait son auteur lui-même sceptique quant à sa valeur. Dans le meilleur des cas, celui-ci y voit le témoignage sincère, le tableau de la tempête intérieure qui agite l'artiste moderne ; sans doute est-ce la meilleure raison de lire de Groux, tant il est vrai que l'art moderne -les musées sont trompeurs à cet égard- a comme les icebergs une importante partie immergée, dissimulée à la vue du simple spectateur.
La confrontation avec Van Gogh est particulièrement éclairante ; de Groux a émis un jugement très sévère sur la peinture de son confrère, sans mépriser pour autant l'homme comme il méprisait franchement Cézanne ou Apollinaire, qu'il accuse de divers trucages artistiques. De Groux se fit même virer de son groupe d'artistes (les XX), pour avoir refusé d'être exposé en même temps que Van Gogh.
"De toutes les peintures que j'ai pu voir du peintre hollandais, têtes ou paysages, je ne m'en rappelle pas une qui brillât par des qualités vraiment picturales que l'on pût sincèrement estimer remarquables. Elles ne se signalent que par la même facture exaspérée et maladroite. Un seul morceau représentant des harengs sur un plat de faïence ou de grès, m'a séduit par une chaleur de ton et une certaine verve de facture vraiment assez heureuse, assez rare dans sa production. C'est tout.", note de Groux dans son Journal en 1893.
De Groux voyait dans le travail de Van Gogh l'oeuvre d'un aliéné, et non d'un artiste en pleine possession de ses moyens ; cependant, de Groux fut interné lui aussi dans un hôpital psychiatrique à Florence, après avoir effrayé sa maîtresse ; il s'en évadera dans des conditions rocambolesques. De Groux consigne d'ailleurs dans son Journal une insomnie aggravée, causée par des cauchemars violents qu'il redoute d'affronter. Mais surtout, de Groux fut assailli comme Van Gogh par des considérations d'ordre métaphysique, interférant dans son existence. Si Van Gogh est maladroit, et touchant par cette maladresse, on ne peut pas dire que de Groux soit très habile non plus.
La foi n'est pas héréditaire chez de Groux comme elle est chez Van Gogh (fils et petit-fils de pasteur) ; elle s'incarne dans un ami très proche, Léon Bloy (compagnon d'infortune, par qui il fut hébergé et qu'il hébergea quand ils furent, chacun leur tour, dans le besoin), polémiste catholique et anarchiste (!?) ("L'argent est le sang des pauvres.").
En même temps qu'il est attaché à son ami Bloy, impressionné par sa foi intransigeante, qui tranche à ses yeux singulièrement avec le mode de vie bourgeois, de Groux demeure athée en secret, pour éviter d'être sermonné par son ami. Il confie dans son Journal qu'il se sent proche des peintres Delacroix ou Ingres qui, bien qu'ils honorèrent de nombreuses commandes religieuses, restèrent athées ou "rationalistes". Du catholicisme, de Groux n'admire que les ouvrages d'art, dont son ami Bloy se méfie au contraire.
Une rupture durable interviendra entre les deux amis, dont l'affaire Dreyfus, et Zola en particulier, sont le facteur déclencheur. Tandis que de Groux ira jusqu'à défendre Zola physiquement, Bloy vitupère au contraire le défenseur du capitaine Dreyfus, l'accusant d'être un imposteur, un bourgeois retranché dans une villa cossue (sous-entendu : un faux messie). De Groux finira par rompre avec Bloy, effrayé de surcroît par l'épouse danoise du polémiste.
De Groux sacrifia sa carrière à une incessante remise en question, tant spirituelle qu'artistique, ô combien éprouvante. En cela, de Groux est bien plus moderne que bien des modernes. Alors qu'il est déjà avancé en âge et dans la maîtrise de son art, sans doute mû par son enthousiasme pour les compositeurs modernes, Wagner en tout premier lieu, de Groux croit déceler en lui une vocation impossible de compositeur. Cette "découverte" le bouleverse.
Les éditeurs et commentateurs de ce Journal en ont facilité la lecture en classant les notes de de Groux par thèmes (l'art, la vie, l'époque...) et en proposant un index des noms propres.
Leur commentaire fait parfois croire que de Groux avait des goûts "classiques", ce qui est inexact. De Groux admire Géricault, et surtout Delacroix ; or ce dernier n'a rien d'un peintre "classique" ; son Journal indique au contraire que l'oeuvre de Delacroix contient toutes les clefs de l'art moderne, la volonté de fusion avec la musique tout d'abord. C'est d'ailleurs peut-être sur ce point que la connivence entre de Groux et Bloy s'établit ; et si le fanatisme catholique de Bloy et le fanatisme artistique de de Groux, dont l'absolu est musical, n'étaient que deux facettes d'une même religion.
Le reproche adressé par de Groux à un certain nombre de ses contemporains n'est pas d'être trop modernes, mais de n'être pas assez "artistes", ce qui est bien différent. La conception de l'art de de Groux, à l'instar de celle de Baudelaire ou Nietzsche, implique une profonde aversion pour la démocratie.
*Ci-dessus, portrait de Beethoven par H. de Groux.
Henry de Groux (1866-1930) - Journal, éds Kimé/Institut national d'histoire de l'art, 2007.
Soldats de 14-18 équipés de masques à gaz, dessinés sur le vif par de Groux.
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Great again!
photomontage par LB
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Presqu'au bout du rouleau
Pourquoi "presque" me direz-vous ?
Eh bien, parce qu'il n'en reste qu'un petit bout
Mais si, vous savez très bien de quoi je veux parler,
De la petite feuille laissée anonymement dans vos WC.
Certes, il aurait pu vous laisser au bout du rouleau
Dans l'enfer de la gestion de votre dépôt,
Mais c'eût été pour lui moins amusant
Que de vous imaginer presqu'impuissant.
Pour vous en sortir à peu près avec les honneurs,
Il va falloir faire preuve de méthode et de rigueur
Prendre le problème à bras-le-corps,
Vous démener sans relâcher vos efforts.
Bien entendu il est totalement illusoire
De penser pouvoir rééduquer ce petit pervers notoire.
Alors, un petit conseil : restez toujours vigilants
Et planquez un petit rouleau quelque part discrètement.
Marie-France Ochsenbein
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Revue de presse BD (238)
Illu. de Fanny Michaelis, exposée à la Maison de la culture d'Amiens.
+ Paradoxe : tandis qu'elle est en cours de reconnaissance officielle, la BD traverse une crise économique ; l'effet pervers des recettes technico-commerciales appliquées à la BD commence à se faire sentir. Cette situation évoque celle des étudiants qui sortent de l'université bardés de diplômes, mais ne parviennent cependant pas à trouver un emploi.
Deuxième incohérence : alors qu'il est de bon ton de vanter la BD comme "un art à part entière", simultanément le fait pour un auteur de "sortir des cases", c'est-à-dire de la syntaxe propre à la BD, est présenté comme la panacée par les mêmes thuriféraires.
Ainsi la Maison de la culture d'Amiens propose, du 3 juin au 15 octobre, une expo. intitulée "Hors Cases, le 9e art contemporain", présentant les créations de neuf bédéastes européens (F. Michaelis, L. Debeurme, L. Mattotti, S. Blanquet...)
L'histoire de l'art ou de la littérature montre que l'obsession du style et des questions stylistiques est proche de la mort de l'art. La BD ne serait-elle pas un "art fantôme" ?
+ Le prix de la BD "décloisonnée" (sic) a été remis à la revue "Topo" (destinée aux moins de 20 ans) par les organisateurs du Festival "Lyon-BD" à venir (9 juin). La jeune revue bimestrielle "Topo" (2016) traite des questions d'actualité en BD. Chacun de ses exemplaires se vend entre 8.000 et 10.000 ex.
Son rédacteur en chef Franck Bourgeron dévoile sa stratégie éditoriale : "S’adresser directement aux ados supposerait de passer par les réseaux qu’ils maîtrisent, ce qui n’est pas forcément notre cas. Par défaut, nous visons donc plutôt les prescripteurs, autrement dit leurs parents, avec le risque de faire passer Topo comme un outil pédagogique, donc ennuyeux."
Cette stratégie part d'un préjugé : les sujets sérieux n'intéressent pas les ados ; pourtant, quand on voit le nombre d'adultes qui s'adonnent au jeu ou au calcul politique, il semble qu'il y a là une idée préconçue.
De plus l'industrialisation croissante de la presse, son organisation monopolistique pose un problème qui n'est pas abordé de front par F. Bourgeron : dans quelle mesure une entreprise de presse indépendante n'est pas condamnée par avance par les modalités économiques qui lui sont imposées ?
! La convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (Cnuld) organise un concours international de dessins de presse (date de clôture, le 12 juin) doté de 1000 euros ; thème : "Désertification des terres et climat : l'Europe et le monde face aux ultimes frontières."
+ Dans "Le Journal des Présidents", recueil de caricatures de Cabu paru chez Michel Lafon, Philippe Val s'emploie à redorer l'image de de Gaulle écornée par les dessins de Cabu. Cabu, qui défendit son ami P. Val en raison de ses efforts pour maintenir "Charlie-Hebdo" à flots, aurait-il approuvé une telle réhabilitation ? Celle-ci n'est pas exclusive, puisqu'elle s'étend à N. Sarkozy.
Il n'est pas inutile de rappeler ici les explications du Pr Choron, qui imagina la fameuse "Une" antigaulliste qui valut à "Hara-Kiri" d'être censuré par le ministère de l'Intérieur. Cette "Une" ("Bal tragique à Colombey : 1 mort") n'était pas si antigaulliste, puisqu'il s'agissait avant tout de souligner la flagornerie des principaux éditorialistes de la presse française et la servilité de leur office. En effet, le décès dans sa retraite de Colombey-les-deux-Eglises de l'ex-chef de l'Etat constituait un non-événement.
La rupture entre le "Charlie-Hebdo" du Pr Choron et Cavanna et celui de Val et Cabu n'est donc pas tant au sujet du culte rendu à la figure paternaliste de de Gaulle qu'à propos de la presse française, méprisée par le Pr Choron et Cavanna, tandis que P. Val aspirait au contraire à la reconnaissance de ses pairs journalistes.
+ Les bibliophiles parisiens connaissent bien le square Georges Brassens à Paris (M°Vanves/Convention), où se tient un marché du livre ancien et d'occasion, suppléant les faibles stocks des libraires qui travaillent désormais à "flux tendu".
Waner, qui publie des dessins dans "Zébra" et "Siné-Mensuel", y vendra ses originaux en compagnie de quelques confrères (Pakman, Lardon...) les 17 et 18 juin prochains.