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ouagadougou

  • Revue de presse BD (178)

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    Dessin de Damien Glez paru dans le "Journal du Jeudi" (Ouagadougou).

    + L'entreprise actuelle de réhabilitation de "Tintin" passe par plusieurs canaux. De manière significative, on voit quelques intellectuels tenter de faire passer l'oeuvre de Hergé pour ce qu'elle n'est pas, à savoir une oeuvre d'art "populaire" ou une mythologie.

    Le populisme et la culture de masse ont rendu difficile la définition de "l'art populaire". On peut exclure "Tintin" de l'art populaire, dans la mesure où il émane de la bourgeoisie belge, et tient un discours pédagogique, fait pour persuader les enfants des bienfaits de la civilisation belge. Hergé s'est approprié peu à peu "Tintin", au fil des albums ; la série vire à l'auto-justification assez creuse, dès lors que Hergé finit par se lasser des valeurs de son milieu, sans toutefois parvenir à se débarrasser de "Tintin" (comme Franquin s'était débarrassé de "Spirou").

    Il est inexact de dire que "Tintin" est une littérature dépourvue de caractère sexuel, comme probablement toute littérature "de genre", en particulier celle destinée aux enfants ; la sexualité, dans "Tintin", est sublimée, ainsi qu'elle l'est dans la littérature ou l'art puritain. La littérature libertine, à caractère explicitement sexuel, a d'une certaine façon plus de recul sur la sexualité que la littérature de Hergé ou la Comtesse de Ségur, son équivalent pour les petites filles. A contrario la culture populaire tourne habituellement le motif sexuel en dérision.

    Amaury Hauchard a rédigé récemment dans "Le Monde" un article sur la réception de "Tintin" au Congo. Celui-là s'avère ambigu puisqu'il montre que les Congolais-Zaïrois, en général, apprécient les aventures de "Tintin au Congo" et n'y voient pas le racisme fustigé par certains ; mais, dans le même temps, l'article explique que "Tintin" a été propagé par le régime dictatorial du maréchal Mobutu. La culture occidentale est donc véhiculée par la dictature au Zaïre et en Afrique ; Riad Sattouf explique même dans "L'Arabe du Futur" (avec un culot invraisemblable), que c'est le cas des valeurs laïques et républicaines.

    L'angle du "racisme", c'est-à-dire de la moraline judéo-chrétienne, est sans doute le pire angle pour critiquer Tintin. Celui-ci occulte que la propagande coloniale, à laquelle "Tintin" participa, présente aussi les populations indigènes colonisées sous un jour favorable, et non seulement péjoratif, afin de mieux convaincre des bienfaits de la colonisation. L'éloge des troupes coloniales composées d'indigènes est parfaitement antiraciste, mais c'est une façon de prolonger sournoisement la propagande colonialiste.

    + On relie un peu vite l'attentat contre "Charlie-Hebdo" en 2015, à la seule "Une" du n°712 de cet hebdomadaire mettant en scène Mahomet, dessinée par Cabu et pensée par Philippe Val. Neuf ans séparent ces deux événements. On peut penser que la répétition des charges de "Charlie-Hebdo" contre les "intégristes musulmans", qui ne furent pas toutes humoristiques, a joué un rôle dans la décision de prendre l'hebdomadaire satirique pour cible.

    Quoi qu'il en soit, le reportage intitulé "Charlie 712, histoire d'une couverture", où la rédaction du journal finit de composer le désormais fameux n°712, fourmille de détails intéressants ; en effet on y apprend pelle-mêle : - que Luz fut réticent à rebondir sur les caricatures du prophète publiées par la presse danoise ; - que Charb était absent (en vacances) lors de l'élaboration de ce n° crucial ; - que Philippe Val se croit "chimiquement pur" (sic) sur le plan éthique (ce qui n'est pas loin d'une forme de fondamentalisme religieux), et investi d'une mission assez nébuleuse, distincte de la satire ; - que Caroline Fourest faisait office d'experte sur les questions religieuses auprès de "Charlie-Hebdo", à peu près la seule femme à prendre la parole dans ce milieu viril ; - que le risque de représailles violentes fut évoqué, certes avec ironie, mais évoqué tout de même ; - que le soutien du ministre de l'Intérieur N. Sarkozy aux caricaturistes ne dérange pas plus que ça des dessinateurs en principe dévoués à faire entendre une voix discordante des rengaines politiques ; - que Wolinski était plus drôle dans la vie que dans ses dessins, et Cabu l'inverse.

    Avec le recul, ce reportage fait paraître le "Charlie-Hebdo" de P. Val une sorte de troufion innocent, la fleur au fusil, embringué dans une guerre à l'échelle mondiale entre l'Occident et ceux qui le haïssent, et dépassé par le choc des propagandes croisées. Ce n'est sans doute pas la première fois qu'un humoriste se retrouve transformé en soldat de première ligne, comme pris dans l'angle mort de son esprit satirique. A aucun moment, ni Philippe Val ni ses dessinateurs ne semblent s'apercevoir du ridicule de cette prétention à la "pureté éthique".

    + L'école Estienne (Paris XIIIe) et la BNF organisent cette année encore le "trophée "Presse Citron" du dessin de presse. Il est possible de concourir jusqu'au 15 mars dans deux catégories, "étudiants" et "professionnels", en envoyant quelques dessins aux organisateurs. Le trophée avait été remis l'année dernière en présence de nombreux dessinateurs de presse réunis sous protection policière.

    Il n'est pas inutile de rappeler ici que les industriels et patrons français s'efforcent d'étouffer la caricature et le dessin de presse depuis la Libération ; ceux-ci doivent en effet surtout leur persistance à de rares titres de presse indépendants, puisque la plupart des titres de la presse française relèvent de la double tutelle de l'Etat et de quelques industriels. Comme le déclin du dessin de presse et de la presse française coïncident, on comprend qu'il ne s'agit pas d'un "effet de mode" comme certains font croire, mais d'une volonté de censure sournoise et efficace.

    + Le site "Iconovox" propose le téléchargement gratuit du "Pire de l'année 2015" en caricatures, à savoir les meilleures caricatures de Cambon, Soulcié, Berth, Deligne... pour ne citer que quelques-uns des "poulains" de François Forcadell.

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    Dessin de Michel Cambon (pour Urtikan.net)

  • Caricature terrorisme

    par l'Enigmatique LB

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  • La Colonne****

    La colonne de six-cent tirailleurs africains commandée par les capitaines Voulet et Chanoine s’enfoncewebzine,bd,gratuit,zébra,bande-dessinée,fanzine,critique,kritik,la colonne,dabitch,dumontheuil,voulet,chanoine,lemoine,boulet,venance konan,frantz fanon,colonisation,ingérence,royaume mossi,ouagadougou,niger,tchad,tirailleurs,africains,tarantino,django unchained,syphillis,thomas d'aquin, en territoire tchadien, massacrant, tuant et pillant afin d’étendre le terrain de chasse de la France en Afrique (1899).

    Dabitch et Dumontheuil (Futuropolis) ont choisi de relater en deux tomes cette expédition coloniale où le paroxysme de la bestialité fut atteint ; ce chapitre sanglant fut d’abord éclipsé par l’affaire Dreyfus, avant d’être couvert par l’omerta.

    La colonne infernale, non seulement rasa un village tchadien de 10.000 âmes, violant et décapitant sur son passage, mais sa folie l’a en outre entraînée à sa propre perte et destruction : le manque de témoignages directs a obligé les auteurs, dans un souci d’exactitude, à changer les noms de Voulet et Chanoine en Boulet et Lemoine, non sans humour (en effet, comme le souligne le caricaturiste Gustave Jossot, l’alliance du sabre et du goupillon persiste sous le régime républicain ; la morale chrétienne ayant été fondue pour donner l’éthique républicaine, tel le métal d’une monnaie dévaluée pour frapper la nouvelle). Le vide historique permet au scénariste l’invention, dans un cadre politique et militaire dont les tenants et aboutissants sont connus.

    L’Etat-major a été averti des exactions particulièrement violentes commises par la mission par un de ses officiers subalternes. Voulet et Chanoine avaient du crédit ; ils s’étaient illustrés auparavant dans la conquête du royaume Mossi (Ouagadougou) et du Niger ; et, quand l’ordre fut donné de mettre un terme à leur entreprise de conquistadors sanguinaires, combinant les méthodes de la guerre tribale et celles du combat occidental, pour engendrer le pire, il était trop tard.

    Coïncidence ou pas, cet album paraît au moment où la France redéploie ses troupes en Afrique et envisage de les « projeter » (sic) en Syrie. Il n’est certes pas interdit de faire des parallèles entre l’aube du XXe siècle où se situe l’expédition relatée dans cette BD, et l’aube du XXIe siècle où nous sommes. L’histoire, bien qu’elle semble se répéter, ne vaut que pour les leçons qu’on peut en tirer à présent – sans quoi elle n’est que la recherche du temps perdu.

    On peut penser que ce n’est pas un hasard si l’écrivain ivoirien Venance Konan, auteur de la préface de « La Colonne », cite Frantz Fanon : « L’Europe a fait ce qu’elle devait faire et somme toute elle l’a bien fait. Cessons de l’accuser mais disons-lui fermement qu’elle ne doit plus continuer à faire tant de bruit. Nous n’avons plus à la craindre, cessons de l’envier. Le tiers-monde est aujourd’hui en face de l’Europe comme une masse colossale dont le projet doit être d’essayer de résoudre les problèmes auxquels cette Europe n’a pas su apporter la solution. »

    Les bons sentiments anticolonialistes n’ont en effet pas mis fin au droit d’ingérence occidental, qui fait flèche de tous bois, c’est-à-dire prend pour prétexte les diverses variations sur le thème de la civilisation (on trouve déjà chez saint Thomas d’Aquin au moyen âge une justification théologique de l’ingérence).

    Le parallélisme est frappant entre l’ignorance de la population française métropolitaine au sujet d’opérations militaires menées en son nom, hier comme aujourd’hui. Le citoyen lambda, à qui on reproche souvent son indifférence vis-à-vis de la politique étrangère, en réalité n’est informé des faits que longtemps après qu’ils se sont déroulés, ce qui donne de la part des gouvernements ou des chefs d’Etat plénipotentiaires le sentiment qu’ils se comportent en somnambules ; à propos des questions coloniales ou de politique étrangère, la démocratie semble schizophrène, plus qu’en aucun autre domaine.

    Or le scénario de Dabitch ne tombe pas dans le prêche moralisateur, permettant de se donner bonne conscience à peu de frais ; le piège tendu par certains ouvrages, d’une relecture du passé à l’aune des nécessités éthiques du moment, est évité. Ainsi le « bon noir » n’est pas opposé au « vilain blanc », selon la recette du dernier film, littéralement ordurier, de Q. Tarantino (Django Unchained). Le procédé est non seulement manichéen, mais il empêche autant que le préjugé raciste de s’interroger sur la nature humaine en général, et l’instinct de prédation particulier.

    Quelques mots sur le dessin ; le style de N. Dumontheuil, pas très éloigné de celui de Franquin ou Morris, est particulièrement expressif. Ajoutée à cette expressivité, la colorisation dans des tons soutenus rend très bien l’aspect de violence militaire sadique de l’expédition, à la limite de la jouissance sexuelle. Cela tend presque à confirmer l’hypothèse de la syphilis, par laquelle Chanoine et Voulet, grands consommateurs de femmes, auraient été infectés, et qui n’aurait fait qu’accroître leur férocité.

     La Colonne, par Dabitch et Dumontheuil, Futuropolis, 2013.