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joël callède

  • Mitterrand Requiem*

    C'est la couverture de cet album qui m'a surpris et poussé à le lire. Une deuxième BD
    webzine,bd,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,mitterrand,requiem,seth,dieu,égyptiensur Mitterrand en quelques mois, ça commence à faire beaucoup ! D'autant plus que F. Mitterrand est une personnalité sans grand relief - je ne nie pas que cet édile fut "un homme de valeur", mais il a régné sur la France et les Français à une époque sans grand intérêt sur le plan politique. Sans doute l'homme était-il assez cultivé pour s'en apercevoir. La pointe d'amertume et de mépris dans le ton de F. Mitterrand à la fin de son règne, que les meilleurs caricaturistes ont su saisir, trahissait sans doute cette désillusion.

    Cause de ma surprise surtout, la représentation sur la couverture du dieu égyptien Seth, particulièrement sinistre, à côté de l'ancien chef de l'Etat ; elle suggère le mobile satanique de celui-ci... du moins selon le vocabulaire "judéo-chrétien", car pour les Juifs l'Egypte symbolise la volonté satanique ; de façon plus neutre, on peut parler de "paganisme" ou de "néo-paganisme".

    Et ce n'est pas seulement une suggestion puisque l'auteur, Joël Callède, en introduction à sa BD, relie explicitement le régime des valeurs laïques français à la philosophie naturelle de l'Egypte antique, qu'il n'hésite pas à qualifier de "spiritualité".

    Autant le dire tout de suite, "Mitterrand Requiem" est un livre pieux, et pour cette raison complètement creux. Le phénomène de ferveur religieuse laïque n'est pas si étonnant ni rare. Une anecdote personnelle pour l'illustrer : comme je visitai un ami hospitalisé - ce devait être vers la fin du premier mandat de François Mitterrand, je tombai en arrêt sur le poster de François Mitterrand que le voisin de chambre de mon copain avait épinglé au-dessus de son lit ; cette image pieuse était manifestement censée lui procurer réconfort et protection. Le type était dans la force de l'âge, contrairement à moi, ce qui m'avait fait légèrement sursauter.

    La superstition est une chose, y compris chez certains qui se disent "laïcs" et se font fort de la combattre chez autrui, mais c'est une chose bien différente d'affirmer la proximité de François Mitterrand avec la religion égyptienne antique, son célèbre système zodiacal. D'une manière générale, les politiciens se tiennent éloignés des questions spirituelles, philosophiques ou scientifiques ; à tel point que l'on peut se demander si la volonté d'échapper au questionnement spirituel ou métaphysique n'entre pas en ligne de compte dans la vocation politique.

    On sait que Mitterrand a grandi dans un milieu conservateur, qu'il a été sous l'influence des idées réactionnaires de Charles Maurras et de l'Action française ; le régime de Vichy pour lequel F. Mitterrand éprouvait de la sympathie, à l'instar du régime nazi, a joué la carte du symbolisme néo-païen, mais de façon superficielle et sporadique. Par ailleurs Mitterrand avait des goûts modernes, sans quoi il n'aurait probablement pas pu évoluer dans les hautes sphères politiques, manier la rhétorique en vigueur dans ce milieu. Voyager en Egypte, éprouver de la fascination pour les pyramides et la culture égyptienne multimillénaire ne signifie pas que l'on y adhère, ni même qu'on la comprend.

    Plus abusif encore le rapprochement entre la laïcité et la culture égyptienne antique ; la culture moderne occidentale est le produit d'influences très variées. On ne peut pas exclure une forme de néo-paganisme (nécessairement "réac"), mais de très nombreux principes laïcs traduisent aussi l'influence du "judéo-christianisme", à mille lieues de la philosophie égyptienne, et pas des moindres : l'égalité, le féminisme, la démocratie.

    Une question plus intéressante se pose, que ce type de littérature pieuse élude malheureusement en proposant une vision largement fantasmée de Mitterrand, qui frise parfois le ridicule ; la nature composite de la culture occidentale moderne, disons pour partie "païenne", pour partie "judéo-chrétienne", est-elle une force ou bien au contraire une faiblesse ? La culture occidentale est-elle faite pour s'imposer au monde entier, en vertu de sa plasticité, ou bien condamnée à se déliter petit à petit en raison de son incohérence ? 

    Mitterrand Requiem, Joël Callède, Le Lombard, 2016.