...littéraire (pour faire de la place dans ma bibliothèque). Cette semaine, deux modernes pas vraiment modernes.
par Antistyle
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...littéraire (pour faire de la place dans ma bibliothèque). Cette semaine, deux modernes pas vraiment modernes.
par Antistyle
Spéciale "Sexe et Bande-dessinée"
Autoportrait de R. Crumb et sa femme Aline Kominsky-Crumb
+ Défense de rire, l'Equipe interdisciplinaire de recherche sur l'image satirique (Eiris) prépare une conférence sur la guerre des sexes, ou celle des genres, dans la caricature. Mais si la satire prenait le parti des hommes, ou celui des femmes, elle ne serait pas la satire mais le militantisme. Cette Eiris confond images d'Epinal et caricature : elle devrait porter un monocle pour mieux y voir.
+ Le dessinateur Thomas Mathieu milite, lui, en faveur de la galanterie française, qui semble-t-il se perd au fil des ans. Il donne dans son "projet crocodiles" aux "harceleurs de rue" l'apparence de ce saurien, connu pour sa férocité et sa stupidité. D'ailleurs monsieur Crocodile ne demande pas son avis à madame ; il est pris, comme on dit, d'un "besoin irrépressible". C'est vrai ça, pourquoi n'y aurait-il que les policiers et les gendarmes à se montrer polis avec les femmes, et pas les petits voyous ? Blague à part, ce serait un préjugé sexiste de croire que les femmes ne sont pas, elles aussi, capables de harcèlement sexuel.
+ Beaucoup de bruit ces derniers temps autour de la BD de genre "pornographique". Ainsi "Arte" lui a consacré un reportage (26 oct.), dont l'illustratrice américaine Molly Crabapple déroule le fil (d'Ariane). Ce n'est pas le but de ce reportage de le remarquer, mais la pornographie a autant de succès dans les populations frustrées sexuellement qu'elle laisse les peuples épanouis indifférents ; à tel point qu'au Japon, pays où l'esclavage est fréquemment associé au plaisir sexuel, la pornographie et les pratiques masturbatoires sont en passe de supplanter le coït, tant le stress dû aux conditions de travail est grand. C'est exclusivement du point de vue bourgeois libéral que l'on peut promouvoir l'effet prétendument libérateur de la pornographie. On retrouve ici une rhétorique semblable à la devise qui surmontait les camps de travail allemands : "Le travail rend libre." La démonstration que "Le sexe rend libre." relève de la même malversation intellectuelle.
Empressons-nous d'ajouter que la pornographie n'est pas la cause de l'oppression, mais seulement un symptôme, premièrement ; ensuite que les auteurs, dont le reportage diffusé sur "Arte" recueille les témoignages, ne font pas l'apologie de la pornographie, mais évoquent plutôt la manière dont ils pratiquent ce genre, que certains ont sensiblement détourné de son but érotique.
+ Des hommes politiques, en général, on dit qu'ils "parviennent par les femmes" - mère, épouse, ou maîtresses successives. Frédéric Boilet semble vouloir éprouver cette recette dans le domaine de l'art, puisque chaque nouvelle concubine est pour lui l'occasion de pondre une nouvelle oeuvre. Qui a dit que les hommes ne peuvent pas accoucher, eux aussi ? Son dernier bouquin est soumis au financement participatif, qui est à peu près à l'emprunt épargne-logement ce que la partouze est au mariage ordinaire.
+ Les Belges adeptes de la ligne claire, Swarte ou Herr Seele par exemple, me paraissent s'inscrire dans la perspective fachiste de Hergé afin de devenir un Artiste coûte que coûte; autrement dit, c'est comme s'ils voulaient achever "L'Alph-art", ultime album par où Hergé désira égaler les plus fameux, sans se douter qu'il serait un jour aussi "bankable" qu'eux, et sans doute gravé plus profondément dans l'inconscient collectif. C'est pourquoi j'ai rédigé une critique négative de "Cow-boy Henk", dont je trouve l'humour un peu répétitif et ennuyeux. Dans cette interview donnée à Yacine, chef d'orchestre du blog "Lezinfo", interview récente et qui recèle néanmoins quelques saillies, Herr Seele entend une nouvelle fois se distinguer de Hergé et "Quick et Flupke" : cependant les adultes belges aujourd'hui ne lisent-ils pas à peu près la même chose que ce que les gosses de la même nationalité lisaient dans les années 50 ?
+ Une fois n'est pas coutume, j'approuve le chroniqueur bruxellois D. Pasamonik (Actuabd) de fustiger la presse en général, et "Le Monde" en particulier, pour son battage médiatique ridicule autour de la sortie en librairie d'"Astérix chez les Pictes". Hélas la BD est aussi un art industriel ou séquentiel, imperméable comme le cinéma à la critique pour cause d'enjeu financier. On peut d'autant plus le regretter que, comme dit Victor Hugo, "Le calembour est la fiente de l'esprit."
+ Interview dans le dernier n°50 de "Zoo" de Pierrick Starsky, qui a eu l'idée de lancer la revue de BD marseillaise "Aaarg !", que celui-ci promet la plus éclectique possible. A l'image de "Zoo", j'imagine. M. Starsky établit un lien entre le marasme dans lequel se trouvent les jeunes auteurs de BD, et le déclin de la presse. On ne peut que le suivre sur ce terrain. En revanche certains des modèles cités en référence sont contestables, comme "Pilote", entreprise de presse non seulement régie selon des principes capitalistes, mais qui n'a pratiquement jamais été rentable. On oublie souvent de dire que le succès (durable) de ce type d'entreprise dépend plus encore d'une organisation rigoureuse que du talent de ses contributeurs.
+ Le dessin de la semaine est un dessin de presse signé Vincent, et il est paru dans l'Hebdo.ch. (en remplacement du dessin prévu, sur lequel je n'arrive pas à remettre la main, et qui montrait une femme s'approchant de son mari, à moitié nue - et celui-ci de sursauter : Oh, tu m'as fait peur, dans l'obscurité je t'avais prise pour une "femen").
Retrouvez chaque semaine un gag de W.Schinski traduit de l'allemand dans Zébra :
...W.Schinski publie aussi dans nos colonnes son premier webcomic (feuilleton-BD), un polar intitulé G-1759 (A suivre).
+ La BD ne se pratique pas seulement en solo, mais aussi en couple. Le cas de l'auteur de BD qui escorte sa compagne en mission humanitaire est de + en + fréquent ; profitant de ce qu'elle est occupée à rendre le monde meilleur, l'auteur s'adonne au reportage dessiné (Guy Delisle, par ex.) ; on peut citer aussi le cas des partenaires qui se stimulent mutuellement, pour engendrer une oeuvre commune, tels M. & Mme Ray Sohn, dont vous pouvez voir un échantillon ci-dessus, et quelques autres par là.
+ Ceux qui, contrairement à moi, ont du mal à quitter Paris plus de quelques jours parce que le métro leur manque trop, se consoleront peut-être d'avoir dû renoncer à leurs villégiatures provinciales pour retourner au turbin, à l'aide de la poésie oulipienne des noms de métros transformés en anagrammes, où "Porte de Clignancourt" donne "Plan d'égout incorrect", et "Rue Saint-Maur" donne "Utérus à marin". Et si le monde moderne n'était qu'un anagramme inventé par des poètes masochistes ?
+ Yassine, du blog "Lezinfo" dédié à l'illustration et aux illustrateurs, annonce l'expo. du 31 août au 21 sept. à Paris (XIe) des oeuvres de Laurent Impeduglia, dont il dit : "(...) C'était un des rares dans ce collectif ["Mycose"] à ne pas faire de la BD et à publier des fanzines monomaniaques avec des dessins de têtes de mort et de vélos, ou des têtes de mort sur des vélos. Il a attiré plus l'attention depuis avec ses grandes peintures, fresques superbes remplies de détails crétins ou morbides."
Cette expo. représente une alternative au "pop-art" de papa-maman, façon Roy Liechtenstein, un peu usé désormais. D'ailleurs si la BD n'est pas faite pour être exposée dans un musée ou une galerie, il n'est pas certain que ce fut le but de Roy Liechtenstein non plus.
+ Tout l'été, le "Nouvel Obs" a diffusé un feuilleton signé Thomas Cadène : "Romain & Augustin, un mariage pour tous". Le dessin et les dialogues un peu stéréotypés donnent à ce feuilleton un côté roman-photo (bien que le roman-photo soit une littérature "légère" qui fait plutôt l'apologie de l'adultère).
Le site belge "Actuabd" se dit surpris de la violence des débats autour du mariage gay en France. Ce qui est surprenant, c'est plutôt que le lien entre le sexe et la violence soit "oublié", au profit d'une théorie rapprochant le sexe et la guimauve/le mariage. En fait de "débats", c'est à l'instrumentalisation de deux sectarismes, opposés seulement en apparence, à quoi on assiste, suivant la bonne vieille technique populiste d'enfumage des esprits.
Case extraite de "Romain & Augustin, un mariage pour tous."
La critique doit non seulement s’efforcer de déceler l’esprit d’un bouquin s’il en a, mais elle doit aussi savoir rester silencieuse devant un objet qui ne se prête pas à la critique. Pourquoi y a-t-il des critiques musicaux qui s’efforcent de démontrer que Wagner est supérieur à Vivaldi, ou vice-versa, quand les amateurs de musique disent qu’ils n’ont pas besoin de la critique ? Qu’ils aiment tel truc ou tel autre, parce que c’est leur bon plaisir. Point à la ligne. Critiquer la musique doit être une sorte de musique en soi, je suppose, celle de ceux qui ne savent pas jouer d’un instrument ou composer, ou qui n’ont pas de voix…
Ce préambule pour m’excuser de faire quand même la critique d’une BD aussi impalpable. Une pure symphonie de couleurs. Il est bien vrai qu’en matière de couleurs, il est inutile de discuter: je suis incapable de dire qui d’autre que moi pourra être touché par cette BD d’Audrey Spiry, qui fait vibrer la corde érotique, d’une façon très féminine ? Disons qu’il faut peut-être, comme je le fais, situer la baignade dans le lit d’une rivière froide parmi les trois ou quatre plaisirs les plus élevés dans ce monde, et qui fait que dès que je passe à proximité d’une rivière, je ne peux pas m’empêcher de me jeter dedans, y compris si elle Vilaine.
Une bande de touristes au fond d’une gorge profonde descend le cours d’un torrent, tantôt coquin, tantôt brusque, glouton, affolant. Voilà pour le scénario. Ajoutez quelques "flash-back", à cause du lien entre l'eau et la mémoire. Bien sûr tout est sexuel là-dedans. Zéro imagination de ma part.
Ce qui est remarquable chez Audrey Spiry, c’est la manière dont l’érotisme occupe toute sa fiction, le point où elle parvient à faire pratiquement corps avec la rivière, la traduisant dans son dessin comme le personnage principal. D’habitude c’est le scénariste qui nous mène, pliant le dessin à sa volonté ; là, c’est la rivière, qui nous entraîne.
Les rivières sont des dévoreuses d’hommes, comme l’esprit des rivières, qu’on nomme «vouivre», et qu’il vous est peut-être déjà arrivé de rencontrer, comme moi, dont il vaut mieux prendre l’avertissement très au sérieux. L’homme – je ne sais pas si les femmes aiment vraiment se baigner dans les rivières froides, sauf pour ensuite se réchauffer au coin du feu ? -, l’homme disais-je, qui va au bain, entre dans le lit d’une femme beaucoup plus puissante que lui, situation inédite, et dépucelage qui peut avoir des conséquences gravissimes si la rivière veut cet homme pour elle et pour elle seule.
Se baigner dans la mer est plutôt dégueulasse, en comparaison. Pas seulement parce que de très gros poissons baisent dedans. Pour ma part, je laisse ça aux poètes oedipiens, fascinés par leur maman. Aux Italiens, qui voudraient que l’eau soit toujours à 37°C.
NB : Il ne faut pas s'attendre à ce que je traite d'une BD de cul chaque semaine non plus. Là je l'ai fait, exceptionnellement, parce que c'était la journée de la femme.
En Silence, Audrey Spiry, KSTR, 2012.
(Zombi - leloublan@gmx.fr)