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par Antistyle
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par Antistyle
Série de pochoirs - Paris-rive droite :
La trêve des éditeurs de BD, qui mettent un peu moins de nouveautés sur le marché en ce moment, permet de découvrir des albums qui ne sont plus au rayon « primeurs » des libraires.
Le Belge Renaud de Heyn, auteur de Soraïa, est versé dans les carnets de voyages qu’il a rapportés des quatre coins du monde et qu’il publie sur le site Grandpapier. Son style, plus proche du croquis, nous éloigne du style académique de la bande-dessinée, parfois un peu trop rhétorique et asservi à la démonstration que la bande-dessinée est « un art comme les autres ». R. de Heyn parvient à accommoder sa technique au récit, qui n’est pas ici de fiction, mais plutôt une sorte de portrait-charge de la société marocaine. Soraïa est en effet une jeune paysanne marocaine vendue comme bonne à une famille bourgeoise citadine, et que son frère veut sauver des griffes de ses nouveaux maîtres. Cette démarche aventureuse pour un jeune paysan qui ne connaît pas les règles s’appliquant au-delà de son village du Rif, où la culture du cannabis est un moyen d’enrichissement plus efficace que l’élevage des chèvres, instruit le lecteur des aspects les moins reluisants de la société marocaine.
Les représentants d’un islam « intègre » croisés par le jeune paysan au cours de son périple, tirent de cette traite de jeunes filles paysannes (plusieurs dizaines de milliers seraient concernées) un argument de mobilisation contre la corruption des élites marocaines citadines « occidentalisées ». C’est ici un aperçu sur un islam activiste proche des méthodes et arguments de la théologie de la libération marxiste en Amérique du Sud. L’athéisme, qui revêtait dans les mouvements révolutionnaires ouvriers en Europe un aspect contestataire des valeurs bourgeoises, n’a pas de prise sur des consciences paysannes pour qui l’athéisme est au contraire une valeur bourgeoise.
Cette BD n’est pas sans rappeler la charge plus violente encore de certains artistes contre la traite similaire que subirent de jeunes paysannes issues des provinces françaises au XIXe siècle du fait de la bourgeoisie industrielle (en particulier Forain).
Le cas des jeunes Africains sans ressources ni emplois qui franchissent la Méditerranée pour vendre leur force de travail à l’étranger n’est pas abordé ici, mais on ne peut s’empêcher de penser que, décidément, l’ère industrielle rime avec esclavage.
R. de Heyn se contente de rapporter des faits et de les mettre en scène, sans militer dans un sens ou un autre. Sa BD est plus neutre que d’autres, sur le sujet des « révolutions arabes », qui traduisaient une vision occidentale assez manichéenne de ces révolutions, masquant le lien entre les politiques économiques occidentales et maghrébines.
Il ne faut pas s’étonner du caractère utopique ou religieux des mouvements révolutionnaires, dans la mesure où le plan social, dès qu’on l’étudie de près, apparaît limité à des rapports de domination ou de soumission, plus ou moins consentis par tous.
Soraïa, Renaud de Heyn, Casterman, 2012.
Série d'affichettes Taga (Paris rive-droite) :
Je dois dire que je ne gobe pas beaucoup la culture japonaise, un peu trop pédophile à mon goût. Je lis donc rarement des mangas, juste un coup d’œil sur certains phénomènes de société comme l’inévitable «One Piece», déjà écoulé à plusieurs centaines de millions d’exemplaires rien qu’au Japon. D’ailleurs le libraire spécialisé de mon quartier ne désemplit pas, et même les bibliothèques municipales s’y sont mises.
Le roman graphique de Jean-Paul Nishi, « Paris, le retour », échappe quelque peu à la loi du genre nippon, puisqu’il s’agit pour cet auteur de mangas ayant séjourné à Paris de rapporter à ses compatriotes quelques détails croustillants sur les mœurs françaises, en soulignant bien sûr les différences. Sa BD a ensuite été traduite en français.
Ce type de témoignage sur la France par des étrangers est régulièrement publié. Le point de vue extérieur permet aux étrangers de voir des choses que nous ne voyons pas, ou de dire des choses qu’il n’est pas permis de dire par chez nous. Je me souviens d’un couple de Québécois, ayant séjourné pendant un an ou deux en France, avant de rédiger un tel rapport, confirmant ou infirmant tel ou tel préjugé. Infirmant par exemple l’idée que les Français se mettent plus souvent en grèves que d’autres peuples, cette impression fausse venant du fait que les grévistes vont se montrer à la capitale la plupart du temps, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays moins centralisés. Mais, dans l’ensemble, ces Québécois étaient un peu trop gentils. Ils étaient sans doute tombés amoureux de la France, à moins qu’ils n’aient cédé aux consignes de modération de leur éditeur (les éditeurs sont aujourd’hui les principaux acteurs de la censure).
Plus récemment, une citoyenne britannique ayant épousé un Français a rédigé aussi ce type d’ouvrage, un peu plus pointu. On y apprend, par exemple, que les mœurs sexuelles de la bourgeoisie parisienne ont de quoi choquer une bourgeoise anglaise ; mais pas seulement, puisque le bouquin contient aussi quelques critiques pertinentes sur notre système scolaire de « bêtes à concours » et son bourrage de crâne intellectuel, qui laisse notre Anglaise un peu interloquée. Celle-ci est en particulier stupéfaite qu’on puisse avoir atteint le sommet de la hiérarchie intellectuelle en France autour de vingt-deux, vingt-trois ans, sous prétexte d’une agrégation quelconque. C’est un phénomène typiquement républicain, qui consiste à calquer les écoles et études prestigieuses, quel que soit leur objet, sur le modèle de Saint-Cyr. Pour ma part j’ai même fréquenté des étrangers issus de l’ancien bloc soviétique qui jugeaient le système français un peu trop austère.
Bien que son dessin soit d’une froideur numérique assez glaciale, Jean-Paul Nishi parvient en quelques anecdotes assez linéaires et pas trop pesantes à exhiber ce qu’il y a de surprenant, de choquant ou d’amusant dans les mœurs françaises vues du Japon. Au passage on apprend bien sûr des tas de choses sur les Japonais, mais pour la plupart assez connues : redoutables hygiénistes, d’une politesse assimilable en France à l’hypocrisie, un sens du devoir plus développé que les Allemands, etc. (...)
Retrouvez chaque semaine un gag/strip de W.Schinski traduit de l'allemand dans Zébra :
...W.Schinski publie aussi dans nos colonnes son premier webcomic (feuilleton-BD), en duo avec son pote Sebastian Weissborn, un polar intitulé G-1759 (à suivre).
Spécial conspirationnisme
+ Quand tout ça va-t-il finir ? est une linogravure de l'artiste britannique Alan Rogerson, alias Baggelboy. Plein d'autres sont visibles sur son blog.
+ Le prix Artémisia 2014 de la BD féminine a été remis à Catel pour une BD consacrée à la militante féministe Benoîte Groult. En même temps, il faut dire que Mme Groult est bretonne... or le féminisme est pratiquement inné dans les peuples nordiques, très respectueux des femmes, en particulier les marins ; les Vikings sont un exemple de matriarcat qu'on cite parfois. Une féministe à l'Assemblée nationale ou au PS, voilà qui exige plus de cran qu'en Bretagne.
+ En 2013 est paru un ouvrage sur le thème de la bande-dessinée et de la franc-maçonnerie, aux éditions Dervy. Même si j'ai déjà remarqué le goût prononcé de certains auteurs de BD pour l'architecture, les bagues et colifichets portés par certains, rappelant l'ordre du Temple solaire ou une de ses succursales, j'ai renoncé à lire ce bouquin ; ça m'a paru un peu gonflé de réunir les deux concepts les plus indéfinissables - la BD et la franc-maçonnerie - dans un même bouquin. Cela dit, ça explique peut-être le "sexisme" dont le milieu de la BD est parfois accusé. La prohibition des femmes dans les loges est en effet assez stricte.
+ Le site belge ActuaBD (D. Pasamonik) prend parti pour A. Finkielkraut contre le dessinateur Plantu, qui a défendu la liberté de l'humoriste Dieudonné de s'exprimer. Cependant, quand Tintin et Hergé sont accusés de véhiculer des préjugés fachistes, colonialistes ou racistes et que des actions en justice sont intentées pour faire interdire "Tintin au Congo", les tintinophiles belges d'ActuaBD sont les premiers à invoquer l'abus de censure. En outre le parallèle est frappant entre Hergé, qui auto-censura un de ses albums suspect d'antisémitisme ("L'Etoile mystérieuse"), et Dieudonné qui a transformé son dernier spectacle interdit pour la même raison.
+ Les maniaques d'info apprécieront le quiz "Rétrospective de l'année BD 2013" concocté par le site d'info Bodoï. Ce quiz peut aussi faire office de révision pour ceux qui se rendront au prochain salon d'Angoulême.
+ "L'Etat au secours de la librairie indépendante" titrait cette semaine "L'Express" ; c'est faire étalage d'une conception de l'indépendance propre à favoriser les théories conspirationnistes. Il faut dire que certains magazines "indépendants" comme "L'Express" ou "Le Point" (spécialistes des photos de couverture débiles, soit dit en passant) reçoivent jusqu'à plusieurs millions d'euros de subventions par an de l'Etat.
+ Le dessin de la semaine est d'Odilon Redon. "France 5" diffusait récemment un documentaire consacré à ce dessinateur et peintre presque aussi inclassable que F. Vallotton. Il est notamment bien expliqué dans "Redon, Prince du rêve", dans quelles circonstances cet artiste passa du noir à la couleur, quelques années après avoir exprimé que "le noir est agent de l'esprit, bien plus que la belle couleur".