La Semaine de Zombi. Mardi.
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La Semaine de Zombi. Mardi.
par l'Enigmatique LB (à lire aussi dans "Siné-Mensuel")
La Semaine de Zombi. Vendredi.
Baudelaire par lui-même.
+ Baudelaire aurait-il fait l'apologie de la bande dessinée ? "L'Oeil de Baudelaire" (2016) fait l'objet d'une recension récente dans le webzine Zébra.
+ Un scandale secoue Presstalis, entreprise détentrice du quasi-monopole de la distribution des journaux en France. Une enquête comptable vient en effet d'épingler le gaspillage du prestataire de service sous la direction de son ex-PDG Anne-Marie Couderc (mutée à "Air-France").
Des notes de frais pharaoniques ont en effet été retrouvées - plusieurs centaines de véhicules de fonction ont, par exemple, été mis à la disposition du personnel de Presstalis. Précisons que, sans subventions publiques, Presstalis aurait mis la clef sous la porte depuis longtemps.
Mais le véritable scandale est ailleurs, dans une organisation de la presse française qui permet à ses actionnaires privés et publics la censure sur de nombreux sujets brûlants.
Tandis que 99% des éditorialistes professent des idées libérales, leur activité commerciale échappe complètement aux règles de la concurrence. La presse gratuite publicitaire, non seulement traduit la véritable nature du journalisme aujourd'hui, mais elle est l'aboutissement d'une politique concertée... que les slogans libertaires de "Mai 68" n'ont pas fait dévier d'un iota.
+ Le débat autour des "fake-news" est l'occasion de remettre au goût du jour plusieurs observations de Georges Orwell à propos de la culture totalitaire. En effet ce dernier fait de la quête de pouvoir illimitée le moteur du totalitarisme. Or la diffusion de rumeurs ou "fake news" a bien pour principale cause le détournement ou le trucage de l'information à des fins politiques. Les exemples abondent, anciens et beaucoup plus récents. La guerre des mots n'est sans doute pas un phénomène nouveau, mais celle-ci n'a jamais été aussi intense.
Dans la culture totalitaire, le mot l'emporte sur la réalité qui se cache derrière.
"Big Brother" sait tirer profit de la lutte contre les "fake news" pour consolider sa position ; le géant "Facebook", sur le banc des accusés, vient de s'adjoindre pour corriger les failles de son réseau les services... d'une officine paramilitaire (Atlantic Council).
Le problème des "fake-news" et du complotisme est un problème secondaire à celui de la culture de masse. Autrement dit, on ne peut pas lutter sérieusement contre le complotisme sans lutter d'abord contre la culture de masse ; celle-ci a pour effet d'entretenir la crédulité des plus jeunes, leur goût sans limite pour le divertissement.
+ Un ouvrage ("Contes découpés", ed. Ion) permet de découvrir un autre facette du talentueux conteur danois Hans Christian Andersen (1805-1875) ; connu dans le monde entier pour ses contes ("Le Vilain petit canard", "La Petite fille aux allumettes", "Les Habits neufs de l'Empereur"...), Andersen l'est moins pour ses papiers découpés, qui révèlent un don pour les arts plastiques ; ces découpages plus ou moins minutieux n'étaient pas faits pour illustrer les récits féériques d'Andersen, mais racontent chacun une petite histoire.
Le fils de Charles Dickens en a collectionné plusieurs milliers. Un article de Frédéric Hojlo dans "Actuabd" donne plus de détails.
Silhouette découpée par Hans Christian Andersen.
La Semaine de Zombi. Mercredi.
Baudelaire, critique d'art avisé et influent, aurait-il fait l'apologie de la bande dessinée ?
On peut fournir quelques éléments de réponse à partir des documents proposés par "L'Oeil de Baudelaire" et présentés par quelques spécialistes de ce poète (Robert Kopp en tête), qui fut d'abord un critique d'art avant d'être l'auteur des "Fleurs du Mal", recueil auquel il doit sa notoriété.
Et Baudelaire n'est pas le moindre des critiques d'art ! D'abord il sait de quoi il parle, ce qui tranche avec le dilettantisme habituel des littérateurs français ; ensuite il invente "l'art moderne", avec la connivence tout de même du peintre Delacroix (et de quelques autres).
En dehors du cadre tracé par Baudelaire, l'art moderne serait en effet seulement "contemporain"; ou encore ce serait l'art bourgeois (dans lequel la bourgeoisie croit bon d'investir ses deniers), c'est-à-dire une idée de l'art où l'argument économique l'emporte sur l'estimation critique.
Or il y a un aspect de la bourgeoisie qui représente aux yeux de Baudelaire une menace pour l'art, c'est l'industrialisation. Pour sa part Delacroix parle de "littérature industrielle" pour désigner la mauvaise littérature de feuilletonistes tels qu'Eugène Sue ou (son ami) Alexandre Dumas - on ne parlera que plus tard de "culture de masse".
Dans la mesure où elle représente l'art le plus mécanique et industriel, après s'y être intéressé de près, Baudelaire et Delacroix vont dénigrer la photographie.
Il convient sans doute de dire deux mots de la personnalité et des convictions de Baudelaire, qui déterminent en partie sa conception de l'art moderne. Baudelaire est assez inclassable politiquement, du moins sur la base de la nomenclature actuelle gauche/droite. C'est un révolutionnaire repenti, qui considérait son élan révolutionnaire a posteriori comme un geste immature. Il se veut catholique, mais le catholicisme de Baudelaire est d'un genre particulier : non seulement Baudelaire croit au diable, mais consomme de surcroît du haschisch et vit en concubinage avec une prostituée. Un psychanalyste expliquerait sans doute sa misogynie invétérée par le rapport conflictuel avec sa mère.
A noter qu'une bande-dessinée parue récemment s'est amusée à peindre Baudelaire en précurseur du mouvement "punk".
Plus nettement, le poète est hostile à la philosophie des Lumières, honorée par la bourgeoisie et responsable à ses yeux d'un art sans imagination, imitant platement la nature. Les philosophes des Lumières sont accusés de paganisme, et d'avoir purgé l'art de la notion de péché originel, qui seule permet à ses yeux de rendre compte de la condition humaine.
L'art moderne doit donc selon Baudelaire être porteur d'un message, ou au moins d'un questionnement métaphysique, non seulement incliner le spectateur au bonheur et chantant les louanges de la nature. L'oeil de Baudelaire est d'ailleurs assez exercé pour porter des jugements contrastés et ne pas condamner en bloc l'art néo-classique de David ou d'Ingres, accordant par exemple à ces derniers d'être des portraitistes d'exception.
Le mérite exceptionnel accordé par Baudelaire à Delacroix, qu'il placera parmi les "phares" de la peinture occidentale aux côtés de signatures prestigieuses, est de ne pas se contenter d'exécuter son art en se laissant guider par la nature, mais d'y ajouter la réflexion.
Il n'est pas anodin que le "peintre de la vie moderne" idéal, retenu par Baudelaire pour incarner sa doctrine de l'art moderne, soit un auteur de reportages dessinés, pratiquement autodidacte : Constantin Guys. Ce dernier mieux que d'autres a fait l'effort de traduire la vie moderne en images.
Esquisse représentant de jeunes colporteurs de journaux, par Constantin Guys.
En propulsant le caricaturiste Daumier au premier rang des artistes qui méritent que l'on s'y attarde, pratiquement au même niveau que Delacroix ou Ingres, Baudelaire n'hésite pas à se montrer iconoclaste en matière de critique d'art, tout en dévoilant son penchant pour la satire (comparant Daumier à Molière et Balzac).
Baudelaire fait fi des anciennes catégories et se passionne pour les nouvelles techniques de diffusion de l'art (l'estampe); ce faisant, il contribue à la fusion des arts -de la poésie et de la peinture-, tandis que la peinture de Delacroix lorgne vers la musique.
L'ouvrage publié par le Musée de la Vie romantique regroupe en différents thèmes les critiques de Baudelaire et les illustre à l'aide des artistes que Baudelaire sut distinguer mieux que d'autres, grâce à ses talents de poète et une passion sincère pour l'art.
On peut désormais répondre à la question posée en préambule : qu'est-ce que Baudelaire aurait pensé de la bande-dessinée ? On voit que Baudelaire définit l'artiste moderne au-delà de la capacité à maîtriser une technique, et indépendamment d'une hiérarchie entre les arts. La question de savoir si la bande-dessinée est un art ne nous ramène pas au XIXe siècle mais plutôt au moyen-âge, tant elle est théorique.
On constate aussi que Baudelaire juge au cas par cas ; on pourrait dire qu'il a des "coups de coeur", si ses jugements n'étaient pas toujours étayés. Sa pratique régulière du dessin semble destinée à raffermir son jugement.
Cet attitude individualiste fait écho aux convictions antisociales de Baudelaire, particulièrement remonté contre une société bourgeoise qu'il accuse de tendre inexorablement vers l'uniformité.
A noter que pour Baudelaire la satire n'est pas destinée à faire rire ; dans un paragraphe assez célèbre il vilipendait ainsi le rire : "(...) Le rire, disent les physiologistes, vient de la supériorité. Je ne serais pas étonné que devant cette découverte le physiologiste se fût mis à rire en pensant à sa propre supériorité. Aussi, il fallait dire : Le rire vient de l'idée de sa propre supériorité. Idée satanique s'il en fut jamais ! Orgueil et aberration ! Or, il est notoire que tous les fous des hôpitaux ont l'idée de leur propre supériorité développée outre mesure. Je ne connais guère de fous d'humilité. Remarquez que le rire est une des expressions les plus fréquentes et les plus nombreuses de la folie. (...)
J'ai dit qu'il y avait symptôme de faiblesse dans le rire ; et, en effet, quel signe plus marquant de débilité qu'une convulsion nerveuse, un spasme involontaire comparable à l'éternuement, et causé par la vue du malheur d'autrui ? Ce malheur est presque toujours une faiblesse d'esprit. Est-il un phénomène plus déplorable que la faiblesse se réjouissant de la faiblesse ? (...)"
Daumier caricature les "amateurs classiques convaincus que l'art est perdu en France" (au Salon).
L'Oeil de Baudelaire, ouvrage collectif, éd. Musée de la Vie Romantique, 2016.
par l'Enigmatique LB (à lire aussi dans "Siné-Mensuel")