(Critique parue dans Zébra n°2)
L’exercice de la biographie en bande-dessinée est un des plus difficiles. On compte à ce jour peu de réussites. Parfois citées en exemple, les biographies du Belge Joseph Gillain, quoi que fort bien dessinées, ont le défaut de n’être que des hagiographies. Ainsi dans son récit de la vie du fondateur du mouvement scout, le général britannique Baden-Powell (ouvrage de commande), J. Gillain, alias Jijé, omit-il de mentionner l’invention des camps de concentration de prisonniers civils par l’état-major britannique, dont Baden-Powell faisait partie, lors de la guerre coloniale des Boers en Afrique du Sud (opposant les Britanniques aux colons hollandais) (1899-1902).
L’Américain Edouard Sorel est un cas beaucoup plus rare, qui n’a pas hésité dans ses « Vies Littéraires » dessinées (trad. française Denoël Graphic, 2006) à lever le voile sur quelques icônes des arts et lettres modernes, habituellement drapées des plus hautes vertus par les autorités culturelles (Tolstoï, Proust, Jung, Sartre, Brecht, notamment)… avec la conséquence qu’on imagine de faire scandale dans le Landerneau des lettres new yorkais (E. Sorel prouve au passage que les Yankees ne sont pas tous aussi politiquement corrects que l’on dit généralement en France).
La bio. de Picasso, par J. Birmant et C. Oubrerie, se situe à peu près entre les deux, l’hagiographie selon Gillain, et le réalisme de Sorel. Plus près sans doute de ce dernier, y compris pour le dessin, assez agréablement relâché.
Picasso ne suscite le plus souvent que des réactions d’idolâtrie débile, ou au contraire des insultes gratuites (sans arguments), comme ce fut le cas récemment de la part du romancier M. Houellebecq dans son dernier « best-seller ». Seulement esquissé, le portrait de Picasso est, dans cette bande-dessinée, plus équilibré.
Heureusement le milieu artistique n’est pas épargné : peintres, modèles, marchands et collectionneurs, réunis comme larrons en foire. Je regrette l’insistance sur la romance de Pablo avec Fernande Olivier et ses préliminaires. Plus pittoresques sont en effet les aventures du groupe de peintres dont Picasso faisait partie. Max Jacob, notamment, n’est pas raté ! Toute l’innocente dévotion que le poète breton vouait au style hyper-viril de Pablo est même poussée jusqu’à la caricature, ce qui vaut encore mieux que l’hagiographie ou les bons sentiments.
Comme l’Education nationale s’avoue elle-même impuissante à enseigner les rudiments de l’histoire de l’art, cette bande-dessinée pourra pallier cette lacune et servir d’introduction à Picasso. Quelques scènes salaces ne troubleront pas nos « chères têtes blondes », vu la banalisation par la télévision des scènes de cabaret et danseuses à demi-nues, depuis que Picasso et son pote Casagemas débarquèrent à Paris, en 1900, n'en croyant pas leurs yeux de l'audace des danseuses de « French-Cancan ». Zébra
(Julie Birmant & Clément Oubrerie, Dargaud, mars 2012, 17 euros)