La guerre, par Bastien Vivès...
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Caricature Bastien Vivès
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Conte de Noël
Qu’ils sont dissemblables, en apparence, Arthur Rimbaud et Alphonse Allais, pourtant nés le même jour de la même année (20 octobre 1854) - l’adolescent génial et l’armoire normande sarcastique. Ils n’eurent que la bohême en commun, et ne la quittèrent jamais sauf pour mourir - le génie dans la douleur, l’armoire plus paisiblement.
Pas facile aujourd'hui de faire comprendre comment la poésie d’Alphonse peut émouvoir plus que celle d’Arthur (on peut même trouver ce dernier un peu «Fanfan-la Tulipe» - première des fauchées par la rafale).
Quoi qu’il en soit, amis de la bohême, nous vous offrons, le bon Alphonse et moi, ce conte de Noël merveilleux… à quelques jours près...
Il y a maintenant trois ans, c'est-à-dire à l'époque de Noël, je me trouvais détenu dans une petite prison du Yorkshire, en prévention de vol, escroquerie, chantage, le tout doublé d'une assez vilaine histoire de moeurs sur laquelle il me serait pénible d'insister ici.
Ce qui me vexait le plus en cette occurrence, c'était moins la détention elle-même que l'époque à laquelle elle se produisait.
J'ai toujours adoré Christmas, cette fête des babies et du foyer, Christmas, le bon Christmas.
Du gui, du gui, encore du gui !
En Angleterre plus que partout, et particulièrement dans le Yorkshire, la fête de Noël a un caractère d'intimité dont le boudin parisien ne donne qu'une lointaine idée... si lointaine.
Pour l'intimité, je n'avais rien à dire. Ma cellule était intime, un peu trop peut-être.
Mon geôlier m'avait... Oh ! l'étrange geôlier ! C'était un ancien horse-guard qui avait perdu une jambe dans la guerre contre les Ashantees.
Comme il s'était engagé jadis aux horse-guards pour l'uniforme, il avait tenu, malgré son amputation et sa nouvelle fonction, à conserver son ancien costume.
Et c'est vraiment une très comique chose, de voir d'un côté une jambe de bois et de l'autre une culotte de peau, une botte et un éperon.
Très comique et très touchante chose !
Cependant, malgré tous ces détails, la nuit de Noël arrivait.
Et moi qui étais invité à un réveillon aux îles Féroé, dans la sainte famille d'un pasteur évangéliste !
Vous tous qui me lisez, ou presque tous, vous avez été en prison ; mais, étant en prison, avez-vous vu tomber la neige ?
Ah ! Quelle horreur, la neige qui tombe quand on est en prison !
La seule sensation qui vous rattache au monde extérieur, le bruit, le délicieux bruit (sweet noise) disparaît.
On ne voit plus rien, on n'entend plus rien !
Et elle tombait sans relâche, oblique, drue, serrée, si bien que ma pauvre petite cellule en était obscurcie et comme étouffée.
Un bruit surtout me manquait, parmi ceux que j'avais remarqués et que j'aimais depuis ma captivité ; c'était celui de la promenade de mon geôlier dans la grande cour de la prison.
D'abord, pan !... le coup mat de la jambe de bois sur le pavé, et puis le toc !... triomphant et vainqueur du talon de la botte, métallisé par la vibration de l'éperon, et puis ainsi de suite.
Mon vieux horse-guard ne se promenait-il plus, ou bien le bruit de sa marche était-il étouffé par la neige ?
Je me posais ces questions avec l'inquiétude vaine que crée l'oisiveté de la vie cellulaire.
La nuit de Noël était venue, et je n'avais pas pu me décider à me coucher.
Les cloches sonnèrent dans la ville d'abord, et dans les petites paroisses voisines.
Ces dernières, étouffées par la neige, voilées par le lointain et si attendrissantes que je sentis se mouiller mes yeux.
J'ai toujours pleuré en écoutant, dans le loin, les cloches de campagne.
- Go in ! fis-je en m'éveillant de mon rêve bleu.
On venait de frapper à la porte de la cellule.
C'était une toute blanche et rose fillette d'une quinzaine d'années, portant à son bras gauche un petit panier et tenant à la main droite une grosse touffe de gui.
- Good night, sir, dit-elle.
- Good night, miss, répondis-je.
Et elle continua, toujours en anglais :
- Vous ne me reconnaissez pas ?
- Mais si, répondis-je dans la même langue, je crois vous avoir déjà rencontrée dans un album de Kate Greenaway.
- Non, pas là.
- Alors, dans ma belle image de Randolph Caldecott.
- Non plus.
Un silence.
- Comment ! dit-elle d'un air mutin, vous ne vous rappelez pas ? L'année dernière, vous m'avez sauvée d'une mort certaine. Je traversais Trafalgar Square, lorsque soudain et en proie à une rage subite, l'un des lions en bronze de cette place se précipita sur moi. Je n'eus que le temps de fuir. Un omnibus passait, vous ayant sur l'impériale. Vous vous penchâtes, et d'un bras vigoureux m'enlevâtes à la voracité du fauve. Toute penaude, cette bête reprit sa place immuable et le rôle décoratif que lui avait assigné l'artiste.
J'avais beau rassembler mes souvenirs, je ne me rappelais rien d'analogue. Mais elle insista tellement :
- Même que c'était l'omnibus de Bull and Gate. Vous alliez à la Villa Chiavenna, chez votre ami Lombardi.
Devant un fait aussi précis, je m'inclinai.
Elle sortit de son panier le plum-pudding de la reconnaissance, quelques bouteilles d'ale, et nous soupâmes joyeusement.
A l'aube, elle s'enfuit emportant mon coeur et les bouteilles vides.
Depuis, j'ai cherché à me rappeler ce curieux incident de Trafalgar Square.
Je n'ai jamais pu.
Il est vrai que je ne me rappelle pas davantage la prison du Yorkshire, le geôlier à jambe de bois, sa fille blanche et rose, le plum-pudding et les bouteilles d'ale.
C'est drôle, dans l'existence, comme on oublie tout.
by Alphonse Allais & Zombi
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L'Art du dessin
Si vous êtes comme moi (un peu romantique), et que vous aimez le dessin avec des hachures, alors j'ai trouvé un bouquin fabuleux (ou presque) intitulé "L'Art du dessin" (réédition de Lumen picturae et delineationis, publié à Amsterdam vers 1660). Les planches sont énormes et assez bien imprimées. Ce sont des gravures. Ceux qui ont envie de s'essayer au rendu du volume et de la lumière par les hachures y trouveront une multitude d'exemples illustrant la technique du tracé des hachures suivant les formes.
Le prix, je n'en revenais pas : 9,95 €. Un grand beau livre. Alors si vous êtes comme moi (c'est-à-dire romantique), n'hésitez pas, ça vaut la peine.
(Michel Tamer)
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La Guerre***
Comme on sait, rien de tel qu’une bonne guerre pour sortir de la crise et remettre l’économie sur les rails. La recette a maintes fois fait ses preuves. Si on n’enseigne pas ça à HEC, bien sûr, c’est pour pas flanquer les pétoches aux jeunes officiers.
Eh, admettez au moins que si personne ne veut faire le job salissant de soldat, il profite à tout le monde, comme celui de croque-mort, de boueux, de maton, de pute ou de dealer, que personne veut faire, mais sans lesquels le monde ne tournerait pas rond.
Sur le plan social, comme dans la fourmilière, personne n’est innocent, mais chacun est utile, à sa place et en son temps. Même Andres Breivik ! Bon, le mec en a fait un peu des tonnes, il faut admettre, mais il a semé la terreur comme pas deux, et ça, la terreur, c’est un ingrédient in-dis-pen-sable à la vie sociale, autant que le ciment pour le maçon, ou la pierre d’angle pour l’architecte. C’est pour ça que dans la fable, Adam et Eve, juste après avoir fondé la société, ils se mettent à flipper ; Adam, alors qu’il aurait dû larguer Eve, après le coup qu’elle lui a fait, il reste quand même avec elle pour se réchauffer…
Donc la frousse pousse autant à faire la guerre qu’elle en dissuade ; un vrai traquenard ! Exactement sur le même modèle que tous les autres pièges à c. : la famille, l’amour, les jeux vidéos, etc. «La Guerre» est la suite logique des précédentes satires de Vivès. Je dis «logique», bien que Vivès donne plutôt l’impression de pondre ses bouquins en dilettante, par-dessus la jambe ; un peu comme un démineur qui doit se mettre dans la tête qu’il manipule une boîte de chocolat et non un vieil obus, pour ne pas sucrer les fraises.
Un gag que j’aime bien, c’est celui où deux gonzesses «girly» boivent un pot en terrasse, bavassant de tout et de rien –d’amour-, et tout d’un coup les Ruskovs rappliquent, sans crier gare ils buttent tout le monde. Bon, moi je crois les Ricains ou les Casques Bleus encore plus dangereux que les Ruskovs, mais peu importe, c’est toujours comme ça que ça se passe : la guerre rapplique toujours sans prévenir, et c’est toujours ceux qui causent de tout et de rien en terrasse – d’amour-, qui sont les plus étonnés par le «blitz».
D’ailleurs la guerre, c’est plus fort que l’amour, comme dirait le vieil Homère. Même l’argent ne procure pas autant d’émotions que la guerre. Et quand Achille paraît, avec tous ses super-pouvoirs, même les gonzesses qui jusque-là en tenaient pour l’amour, elles sont au diapason.
Zombi (leloublan@gmx.fr)
La Guerre, par B. Vivès, éd. Shampooing-Delcourt, 2012.
NB : Dans le dernier n° de Zébra, je tente de montrer l’importance du «Chat Noir» dans la genèse de la BD; ce n’est que par un de ces reculs de l’histoire, dont les politiciens sont coutumiers, que les Belges ont fait de la BD un outil de propagande institutionnelle ou personnellle (autrement dit «roman graphique»). Précisément, l’art de Vivès en témoigne ; pratiquement on pourrait dire que Vivès fait de la BD, comme si l’école belge n’avait jamais existé.
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Humbug
- Retrouvez les gags ("humbug") de Wschinski traduits de l'allemand dans Zébra.
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Revue de presse BD (34)
+ Les amateurs de femmes viriles (ou de cow-boys efféminés) apprécieront ce portrait de l'actrice Sharon Stone par Achdé, repreneur de "Lucky-Luke" pour le dessin. L'illustration est extraite d'un album produit par le dessinateur Maëster et sa femme, intitulé "Wanted". Pour moi, le seul, le vrai western, c'est "Lucky-Luke", et pas ces histoires de garçons vachers qui roulent des mécaniques, mais qui redoutent plus leur mère ou leur femme que les apaches ("Lucky-Luke", ou bien Mark Twain).
+ Jacques Tardi, dessinateur célèbre pour ses adaptations de Léo Malet, Louis-Ferdinand Céline et Jean-Patrick Manchette, vient de refuser la Légion d'Honneur qui lui avait été attribuée d'office. Curieusement Tardi n'invoque pas l'antimilitarisme parmi les raisons de son refus, bien que cet ordre a d'abord été inventé par un chef de guerre, pour récompenser la valeur militaire. A vrai dire, il semble aussi difficile de signer des ouvrages nettement antimilitaristes (c'est le cas de son dernier, "Stalag IIB") en étant titulaire de la légion d'honneur, que d'accepter d'entrer dans la confrérie de la saucisse de Morteau lorsqu'on est végétarien. Celui qui a pris l'initiative d'attribuer cette décoration n'avait donc pas pris la peine de lire Tardi. La gloire, comme les balles, est aveugle.
+ "The Believer" est une revue d'intellos de gauche yankees qui cause parfois de BD. Traduite en français, on peut se la procurer en librairie, mais au prix d'un bouquin plutôt que d'une revue (15 €). Dans la livraison datée de l'automne 2012, figure une interview plutôt intéressante de George Meyer, scénariste des "Simpson".
"Les Simpson sont la seule vraie critique de la religion moderne acceptée par la culture populaire." : cette affirmation m'a un peu fait tiquer, cependant ; en effet la famille, le couple ou la religion catholique, ridiculisés dans la fameuse série, ne sont pas directement la première religion moderne ; ils le sont DERRIERE le pognon, divinité principale, sans laquelle les autres ne seraient pas. Or les milieux populaires ne sont pas les plus réticents à admettre cette évidence. Les anglophones pourront lire ici l'interview en anglais.
+ Le caricaturiste Charb confond "athéisme" et "mauvaise foi". Témoin, la manière dont il justifie un énième pamphlet contre Mahomet... Si Charb continue comme ça, même les plus fervents partisans de "Charlie-Hebdo" vont finir par devenir sceptiques.
+ Spéciale dédicace à qui Rennes, comme moi, rappelle les "400 coups" qu'il tira -ou qu'il prit-, avant que sa vie ne prenne une tournure plus académique - ce nouvel épisode de "la vie de Vertron". Les autres risquent d'en sentir moins la poésie ; la poésie, comme le plaisir, est largement conditionnée par la géographie ; de là vient que le Breton -cet être violent- donne parfois à sa dulcinée des noms de plage, ou quand c'est un marin tout simplement le nom du port.
+ Le dessin de la semaine est de Serge Einsenstein (le propagandiste soviétique), représentant la peur; d'autres dessins ici.
(rdp par Zombi - leloublan@gmx.fr)
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Pandora, encore...
Illustration de Louise Asherson, tirée d'une suite sur le thème de Pandore. Opéra ? Mais oui, le mythe de Pandore est l'échographie du "big-bang" ! Silencieux ?