Carré d’agneau et partie à quatre : Rabaté et Hureau ont échafaudé sur ce thème un thriller ragoûtant.
Doublement alléchant : un des deux couples «d’amis» exerce la profession de boucher. La boucherie est-elle, à l’instar de la chirurgie, le laboratoire du crime, ainsi que certains esprits impertinents l'envisagent ? A vous de trancher. Mais, la prochaine fois que vous observerez un cuisiner japonais découper des sushis, réfléchissez à ce que je viens de dire: tant de passion, mise dans un geste aussi futile, n’est-il pas, pour le moins, suspect ? Le crime parfait est d'ailleurs le plus social, car il requiert beaucoup d’habileté, et une sorte de «conscience professionnelle».
Ce qui choque l'opinion dans l'assassinat, ce n’est pas tant l'élimination physique que la méthode employée. Une majorité de gosses croupit en prison, par manque d'expérience.
Pourfendeur du couple bourgeois ou moderne, Charles Fourier (1772-1837) propose une théorie du quatuor ou du carré amoureux plus que convaincante, pour peu qu’on accepte d’observer la vie telle qu’elle est, et non à travers le prisme religieux mis en place au moyen-âge par l’Eglise pour l’amélioration du confort des femmes. Tableau analytique du cocuage (pas moins de 76 variétés !), élucidation des désirs croisés occultes entre «paires d’amis»: pas étonnant que les putains de Paris aient élu Fourier leur philosophe de cœur, tant ces dames sont, sur le sujet de l’amour bourgeois, entièrement déniaisées.
Dans le quatuor de Rabaté, le cocu «objectif» est le maillon faible. Il cède à la la passion. Fourier aurait dit : - il est, des quatre, le seul qui ne voit pas son profit. Pourtant il en a un nécessairement, et le verra mieux à la fin de l'histoire, une fois tout gâché. Tout est, dans les institutions bourgeoises, réductible au profit. Mais certains ne le voient pas: leurs sentiments les en empêchent.
Le "thriller" déçoit cependant. Il est, comme on dit, un peu trop «téléphoné». L’idée que l’assassin trouve la recette de son crime dans une bande-dessinée (Gil Jourdan), clin d’œil amusant, enlève peut-être un peu de crédibilité à l’intrigue, bien que l’hypothèse ne soit pas improbable. J’ai regretté que la boucherie ne soit pas plus mise en avant, sans forcément aller jusqu’à faire servir par la bouchère des morceaux choisis de son amant (hypothèse non moins probable).
En tout cas, grâce à cette BD, on comprend pourquoi les bouchers ont sur les femmes un effet bœuf, bien plus que les auteurs de bandes-dessinées.
Crève Saucisse, S. Hureau & Rabaté, éd. Futuropolis, 2013.