Journal d'un anarchiste cambrioleur
Qu'ils soient chrétiens, ou au contraire athées, les penseurs anarchistes ont toujours dénoncé le caractère arbitraire de la propriété, suivant la formule lapidaire célèbre : - La propriété, c'est le vol !
Plus qu'une biographie circonstanciée, Vincent et Gaël Henry avec "Alexandre Jacob, Journal d'un anarchiste cambrioleur", paru en 2016 chez Sarbacane, proposent d'aborder le thème de l'anarchie et de ses limites à travers le récit des tribulations d'Alexandre Marius Jacob (1879-1954).
Le Marseillais Alexandre Jacob, en effet, fut un authentique cambrioleur, aussi rusé qu'habile, n'hésitant cependant pas à faire feu sur les représentants de l'ordre public ; certes, Alexandre Jacob mit à profit ses procès pour dénoncer l'exploitation dont les milieux ouvriers étaient victimes ; certes, le butin de ses cambriolages servit à financer des publications anarchistes désintéressées... mais les bourgeois aussi ont leurs "bonnes oeuvres", qui les rachètent à leurs propres yeux et aux yeux du monde.
Le vol est, bien sûr, une première limite de l'anarchie telle qu'Alexandre Jacob l'envisage ; une limite comparable à l'usage du terrorisme : cambriolage et terrorisme justifient en effet les moyens de répression mis en oeuvre par l'Etat bourgeois autant qu'ils servent à le combattre.
Cette limite est facile à cerner ; les origines modestes d'Alexandre Jacob constituent-elles une excuse ? Non, car son goût pour l'aventure, pour l'indépendance, son tempérament audacieux, l'ont probablement poussé dans cette voie, plus que la nécessité. Les origines modestes d'Alexandre expliquent plutôt pourquoi il est devenu un marginal, pourquoi il a fui sa condition, sans pour autant la trahir en s'embourgeoisant. Alexandre Jacob n'était pas né pour être esclave, mais il s'est refusé à faire partie de l'espèce des maîtres, en quoi sa ruse et son audace auraient pu l'aider à se transformer.
- Ce qui oppose l'anarchie au socialisme est peut-être plus difficile à cerner aujourd'hui ?
L'anarchie souligne l'iniquité sociale, la férocité de l'espèce humaine ; en prétendant que l'on peut remédier à cette férocité légalement, le socialisme s'avère un nouvel opium du peuple, succédant ainsi aux religions inclinant à l'optimisme, à la passivité et à la confiance dans l'Etat. Le socialiste revendique son appartenance à l'espèce humaine, tandis que l'anarchiste, lui, est un individualiste.
Comme la propriété demeure, et que les moyens mis en oeuvre pour la protéger de la convoitise de ceux qui ne possèdent rien n'ont jamais été aussi sophistiqués et puissants, l'iniquité, qui est le point de départ de l'anarchie, est toujours aussi forte. Quant à l'utopie socialiste, sa promesse de lendemains qui chantent finit par paraître un mirage à ses paroissiens les plus dévots.
Les auteurs de cette BD (basée principalement sur un ouvrage de Jean-Marc Delpech) soulignent à juste titre que l'anarchie joue un rôle crucial dans les temps modernes, aussi difficile soit-il à cerner précisément. Le socialisme, qui est selon K. Marx la meilleure ruse inventée par la bourgeoisie afin de contenir l'anarchisme - le socialisme est-il une digue solide, à l'épreuve du temps ? On serait tenté de croire, si on examine la presse française, aussi muette aujourd'hui qu'elle fut éloquente au XIXe siècle, que l'anarchie est morte. Mais, a contrario, l'avenir du monde n'a jamais paru aussi incertain.
Alexandre Jacob, Journal d'un anarchiste cambrioleur, par Vincent Henry et Gaël Henry, Eds Sarbacane, 2016.