par WANER
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par WANER
par l'ENIGMATIQUE LB
par BOBIKA
Cette BD d'Antonio Altarriba et Keko a reçu le prix de la Critique ACBD en 2015. Peut-être parce qu'elle tient un discours philosophique, ce qui n'est pas commun en BD ?
Passons sur le dessin, assez insignifiant ; Keko mélange le trait avec des photographies, sans doute pour donner une plus grande impression de réalisme, mais il ne maîtrise pas bien cet effet.
Keko campe un personnage de professeur de fac, assassin à ses heures perdues pour "l'amour de l'art" (celui de la transgression, assez en vogue). Ce personnage de professeur a les traits d'Antonio Altarriba, le scénariste, qui enseigne la littérature française à la fac du pays basque.
Dans la BD, le prof enseigne l'histoire de l'art ; au travers d'un long monologue, cet assassin multirécidiviste s'efforce de convaincre le lecteur que l'assassinat, dès lors qu'on le pratique comme un art, n'est pas une activité condamnable ; en outre, plaide-t-il, la société repose sur le crime de sang, à l'échelle individuelle ou industrielle. Entre autres propos subversifs, le prof assassin propose que l'on qualifie les politiciens de "tueurs en série" ; car quand il leur arrive de tuer par procuration, afin de défendre les intérêts qu'ils représentent, ils le font méthodiquement en grand nombre ; comme les tueurs en série, les politiciens les plus sanguinaires (Napoléon, Kadhafi, etc.) ont d'ailleurs beaucoup d'admirateurs des deux sexes.
Altarriba à travers son double de papier ne manque pas de rapprocher l'assassinat de la sexualité, autre ressort social majeur.
Le propos est d'autant plus satirique que nous vivons dans une société moderne qui prétend reposer sur des valeurs "humanistes" comme la solidarité, la fraternité, voire l'amour -à l'opposé de l'assassinat. Il n'est cependant que d'observer le goût du public pour les crimes sanglants et le sang, à travers le cinéma, la littérature ou la presse, pour deviner que le discours humaniste n'est qu'un écran de fumée, suggère Altarriba.
En exergue, Altarriba a placé une citation du marquis de Sade, qui s'efforça aussi à travers son oeuvre d'arracher à la société son masque de respectabilité.
Mais Altarriba n'est pas un assassin ; du moins il n'est pas crédible dans ce rôle de prof assassin (les scènes qui illustrent les rivalités entre profs au sein de la fac sont beaucoup plus convaincantes). L'aspect de "BD à thèse", un peu pesante, prend le dessus en définitive.
De plus, en refermant cette BD, on se dit qu'elle n'est pas si éloignée que ça des séries américaines putassières, à base d'hémoglobine et de tueurs en série, que Altarriba condamne à cause de leur vulgarité.
"Moi, Assassin", par Antonio Altarriba et Keko, Denoël Graphic, 2015.
par l'Enigmatique LB (à suivre aussi dans "Siné-Mensuel")
Petit feuilleton historique estival
Résurrection de Grünewald
A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.
Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.
Extrait de son Journal (Eds Kimé) :
27 Septembre (1902) : Grünewald. N'est-ce pas un des phénomènes les plus singuliers d'éclipse devant la postérité et l'ascendant de gloires ambiantes, que l'histoire de ce Mathias Grünewald disparaissant de la vie artistique de son pays pendant environ deux siècles pour augmenter de l'appoint, d'ailleurs si hétéroclite, de son oeuvre, la gloire, si grande qu'elle fut déjà, de contemporains tels que Holbein, Lucas Cranach et Dürer ?
N'est-ce pas un prodige tout à fait déconcertant qu'un génie aussi fort, aussi original et aussi voyant qu'était celui de Grünewald ait pu voir la presque totalité de son oeuvre changer graduellement et, tout à coup, formellement et totalement d'attribution pendant l'immense période de plusieurs générations et au point d'avoir failli en perdre, pour jamais peut-être, la paternité alors qu'elles n'avaient avec celles de ces devanciers que les quelques signes indéniables de l'origine teutonne commune bien que plus affirmés en elles, qu'en toutes autres.
A jamais ? Non pourtant : l'originalité si criante, la différence essentielle de ces oeuvres avec celles de Dürer et d'Holbein par exemple, tôt ou tard, devait produire la protestation et la révélation définitive d'un Joris-Karl Huysmans, d'un Emile Verhaeren et restituer à ce séquestré jusqu'à son nom véritable si digne d'être illustre à côté des plus illustres.
Mathias d'Aschaffenburg ou Mathias von Aschenburg devait, d'avatar en avatar nominaux, en revenir finalement à son nom primitif, désormais invariable de Mathias Grünewald, aujourd'hui si justement glorifié.
[A peine une trentaine de dessins de Mathias Grünewald (1480-1528) ont été conservés, la plupart d'entre eux étant des études préparatoires. Ci-contre, une tête-qui-rit.
Grünewald est passé à la postérité grâce au fameux retable d'Isenheim.
- Ci-dessous : Trois soldats par le jeune A. Dürer (1489), et un faune dessiné par L. Cranach.]