Non seulement Olivier Josso a dessiné la couverture de Zébra n°2, initié les 3/4 des membres de Zébra à la bande-dessinée (avec un tact qui pourrait faire passer la peau de chamois pour du papier de verre) ; Mais encore O. Josso signe un nouvel album, AU TRAVAIL, incessamment dans les bacs des libraires (L'Association).
fanzine - Page 653
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Au Travail
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Alphie
"Zébra" publie un deuxième conte d'Alphonse Allais illustré : "L'Ami des Nounous" (après "Le Bon Amant" paru dans le n°1). La prose d'Alphonse Allais souffre d'être mal éditée, le tri mal fait parmi les 17.000 contes, au bas mot, publiés par Allais, parmi lesquels se cachent quelques perles. En prime voici :
La Question des Ours Blancs
(ill. par Aurélie D.)
Il faudrait le crayon de Callot, doublé de la plume de Pierre Maël, pour donner une faible idée de l’émotion qui nous étreignit tous deux, le Captain Cap et moi, en nous retrouvant, après ces trois longs mois de séparation.
Nos mains s’abattirent l’une dans l’autre, mutuel étau, et demeurèrent enserrées longtemps. Nous avions peine à contenir nos larmes.
Cap rompit le silence, et sa première phrase fut pour me plaindre de revenir en cette bureaucrateuse et méphitique Europe, surtout dans cette burlesque France où, selon la forte parole du Captain, il est interdit d’être soi-même.
Cap parlait, parlait autant pour cacher sa très réelle émotion que pour exprimer, en verbes définitifs, ses légitimes revendications.
C’est ainsi que nous arrivâmes tout doucement devant l’"Australian Wine Store", de l’avenue d’Eylau ; là, où il y a une petite patronne qui ressemble à un gros et frais baby anglais.
Notre émotion devait avoir laissé des traces visibles sur notre physionomie, car le garçon du bar nous prépara, sans qu’il fût besoin de lui en intimer l’ordre, deux "Corpse revivers", breuvage qui s’indiqua de lui-même en ces circonstances.
Un gentleman se trouvait déjà installé au bar devant une copieuse rasade d’irish wiskey, arrosé d’un tout petit peu d’eau. (L’irish wiskey avec trop d’eau n’a presque plus de goût.)
Cap connaissait ce gentleman : il me le présenta :
– Monsieur le baron Labitte de Montripier.
J’adore les différentes relations de Cap. Presque toujours, avec elles, j’éprouve une sensation de pittoresque, rarement trouvée ailleurs.
Je dois à Cap la connaissance du chef de musique du Goubet, de l’aumônier de la Tour Eiffel, d’un fabricant de trombones à coulisse en osier, etc.
Le baron Labitte de Montripier est digne à tous points de vue de figurer dans une collection aussi flatteuse.
Le baron vient, paraît-il, de prendre un brevet sur lequel il compte édifier une fortune princière.
Grâce à des procédés tenus secrets jusqu’à présent, le baron a réussi à enlever au caoutchouc cette élasticité qui le fait impropre à tant d’usages. Au besoin, il le rend fragile comme du verre. Où l’industrie moderne s’arrêtera-t-elle, mon Dieu ? Où s’arrêtera-t-elle ?
Quand nous eûmes épuisé la question du caoutchouc cassant, la conversation roula sur le tapis de l’hygiène.
Le baron contempla notre corpse reviver et fit cette réflexion, qui projeta Cap dans une soudaine et sombre ire :
– Vous savez, Captain, c’est très mauvais pour l’estomac, de boire tant de glace que ça.
– Mauvais pour l’estomac, la glace ? Mais vous êtes ivre-mort, baron, ou dénué de tout sens moral, pour avancer une telle absurdité, aussi blasphématoire qu’irrationnelle !
– Mais...
– Mais... rien du tout ! Connaissez-vous dans la nature un animal aussi vigoureux et aussi bien portant que l’ours blanc des régions polaires ?
– ? ? ?
– Non, n’est-ce pas, vous n’en connaissez pas ? Eh bien, croyez-vous que l’ours blanc s’abreuve trois fois par jour de thé bouillant ?... Du thé bouillant sur les banquises ? Mais vous êtes fou, mon cher baron !
– Pardon, Captain, je n’ai jamais dit...
– Et vous avez bien fait, car vous seriez la risée de tous les gens de bon sens. Les ours blancs des régions polaires ne boivent que de l’eau frappée et il s’en trouvent admirablement, puisque leur robustesse est passée à l’état de légende. Ne dit-on point : Fort comme un ours blanc ?
Évidemment.
– Et, puisque nous en sommes sur cette question des ours blancs, voulez-vous me permettre, mon cher Allais, et vous aussi, mon cher Labitte de Montripier, de vous révéler un fait d’autant moins connu des naturalistes que je n’en ai encore fait part à personne ?
– C’est une bonne fortune pour nous, Captain, et un honneur.
– Savez-vous pourquoi les ours blancs sont blancs ?
– Dam !
– Les ours blancs sont blancs parce que ce sont de vieux ours.
– Mais, pourtant, les jeunes ?
– Il n’y a pas de jeunes ours blancs ! Tous les ours blancs sont de vieux ours, comme les hommes qui ont les cheveux blancs sont de vieux hommes.
– Êtes-vous bien sûr, Captain ?
– Je l’ai expérimenté moi-même. L’ours, en général, est un plantigrade extrêmement avisé et fort entendu pour tout ce qui concerne l’hygiène et la santé. Dès qu’un ours quelconque, brun, noir, gris, se sent veillir, dès qu’il aperçoit dans sa fourrure les premiers poils blancs, oh ! alors, il ne fait ni une, ni deux : il file dans la direction du Nord, sachant parfaitement qu’il n’y a qu’un procédé pour allonger ses jours, c’est l’eau frappée. Vous entendez bien, Montripier, l’eau frappée !
– C’est très curieux ce que vous nous contez là, Captain !
– Et cela est si vrai, qu’on ne rencontre jamais de vieux ours, ou des squelettes d’ours dans aucun pays du monde. Vous êtes-vous parfois promené dans les Pyrénées ?
– Assez souvent.
– Eh bien ! la main sur la conscience, avez-vous jamais rencontré un vieux ours ou un cadavre d’ours sur votre chemin ?
– Jamais.
– Ah ! vous voyez bien. Tous les ours viennent vieillir et mourir doucement dans les régions arctiques.
– De sorte qu’on aurait droit d’appeler ce pays l’arctique de la mort.
– Montripier, vous êtes très bête !... On pourrait élever une objection à ma théorie de l’ours blanc : c’est la forme de ces animaux, différente de celle des autres ours.
– Ah ! oui.
– Cette objection n’en est pas une. L’ours blanc ne prend cette forme allongée que grâce à son régime exclusivement ichtyophagique.
À ce moment, Cap affecta une attitude si triomphale, que nous tînmes pour parole d’Évangile cette dernière assertion, d’une logique pourtant peu aveuglante.
Et nous reprîmes un autre corpse reviver, avec énormément de glace dedans, pour nous assurer une vieillesse vigoureuse.
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F comme Fanzine
La naissance de la pluie: extrait de la suite de l'abécédaire de Lola, à paraitre dans ZEBRA numéro 3
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Zébra n°3
Je n'ai eu l'occasion d'en parler qu'à quelques-uns. Alors je profite du blog pour informer tout le monde. Ceux qui le souhaitent peuvent se joindre à l'équipe qui a décidé d'adapter un conte en bd pour Zébra n°3, à raison de 2-3 planches chacun.Je propose un conte de Villiers de l'Isle-Adam, "Le Navigateur solitaire" (d'où l'illustration ci-contre). Le choix du conte n'est pas définitif, ni l'équipe. Donc ceux qui souhaitent participer peuvent me réclamer le conte par e-mail, et/ou en proposer un autre.FrançoisAh, et puis j'ai ajouté un petit extrait de la présentation du fanzine parisien "Les Loups", datant du début du siècle dernier, et qui consacra sa couverture à Villiers de l'Isle-Adam."Donc, voici : "LES LOUPS" Journal d'Action d'Art à 0 fr. 10.En effet, voici sortir de la forêt de la Misère et s'avancer par la plaine et les chemins creux de la Littérature, la horde des "Loups". "LES LOUPS" ce sont tous les vrais poètes, tous les écrivains sincères, tous les purs artistes, tous les chemineaux du Rêve, car nous faisons appel à tous les déshérités de tous les Arts : ils n'auront qu'à justifier de leur talent pour être admis parmi nous.Puisque les grands journaux et les revues ne sont pour la plupart que des murailles d'annonces, de réclames politiques, littéraires, artistiques et autres, vendues au centimètre carré, au plus offrant et dernier enchérisseur, "LES LOUPS" Journal d'Action d'Art à 0 fr. 10 offrira à la jeunesse française une TRIBUNE LIBRE, où les écrivains, dignes de ce nom, pourront exposer les idées les plus audacieuses. Les déshérités, les écrivains et les artistes traqués et écrasés par la vie trouveront chez nous un refuge moral, des gens de plume qui ne se vendent pas et qui sont prêts à batailler pour toutes les nobles causes. (...)"(A. Belval-Delahaye) -
Alexandre Pompidou***
(Critique BD à paraître dans Zébra n°2)
Lard Moderne
Cornette-Frissen-Witko : ce trio belge nous sert une tranche de vie bien assaisonnée avec ce premier tome des aventures d’Alexandre Pompidou, sobrement intitulé « Lard Moderne », inspiré du milieu des artistes en herbe ou, comme on dit aujourd’hui, « fraîchement diplômés ».
Alexandre Pompidou, à peine muni de son certificat, décroché à l’Ecole des Arts Majeurs et attestant de sa maîtrise des principales notions de l’esthétique contemporaine, à commencer par : «Mieux vaut battre le fer tant qu’il est chaud !», déploie toute son ingéniosité à essayer de convaincre Adonias Solomon Aurochs-Lascaux, galeriste réputé, de tout miser sur lui. Car, hélas pour Alexandre, la réputation de la famille Pompidou n’est pas établie dans l’art, mais dans la... boucherie.
Comme on dit, « dans l’art, tout est bon ! » : le seul « hic », c’est que Pompidou n’a aucun talent ; il n’est même pas doué pour se vendre, et il va multiplier les gaffes…
Vu le blaze de leur héros, ça sent la vendetta belge à plein nez, cette histoire. Peut-être la double vengeance ? D’abord contre le Français Baudelaire, jadis critique d’art, qui insulta les Belges et les traita de « peuple de négociants et de boutiquiers ». Ensuite, il ne serait pas étonnant que Cornette, Frissen et Witko soient eux-mêmes passés par l’Ecole des Arts Majeurs, comme le réalisme des situations comiques dont ils s'inspirent semble l'indiquer... avant de se reconvertir dans la BD ; pour pouvoir manger ou par amour de l'art ?
Zébra
(Cornette-Frissen-Witko, Ed. du Lombard, mars 2012, 12 euros)
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Hommage à Moebius ?
Hommage à Moebius, à paraître prochainement dans Zébra n°2, rubrique "Rayon noir". Bon, ce serait un peu hypocrite de ma part de présenter ça comme un hommage véritable, vu que je n'ai jamais été fan de Moebius, ni le dessin, ni les histoires "new age" de Jodorowski. Pas un hommage, plutôt un clin d'oeil, donc.
Mais, comme je suis pas vache, pour ceux qui veulent un vrai hommage, c'est ici...
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Ta Mère la pute***
(Critique parue dans Zébra n°1)
La dominante grise de l’album donne le ton. Ca tombe bien, la cité c’est principalement gris.
Gillou passe son enfance dans une cité et traine dans les rues (Ile-de-France, années 70). Gillou est sensible et poli, mais ça, il vaut mieux qu’il le garde pour lui.
Le foot, les copains, les resquilles de piles à l’épicerie, les virées dans la forêt. Jusque-là rien de bien inquiétant. Tout ça pourrait se passer n’importe où.
Mais, peu à peu, les anecdotes se font plus violentes, l’auteur tisse le drame. Le titre « TMLP » (Ta mère la pute) résume la chute de la dignité. Sur fond de chômage, d’ennui, de prostitution et de minorités mal acceptés, le terrain de jeu se transforme en ghetto.
Gilles Rochier n’est pas complaisant. Il ne cherche pas non plus à faire pleurer dans les chaumières. Les dialogues crus et l’ironie allègent ce qui pourrait être vraiment glauque : « Malgré tout ça, on vivait heureux, pas riches, pas beaux, mais heureux. »
Le dessin acéré et les cadrages inattendus sont au service de l’histoire, juste et implacable.
En somme, Rochier évoque les prémices des problèmes actuels qui n’ont fait que s’amplifier, les seringues ont remplacé les règlements de compte. Jusqu’à la chute, où l’auteur retourne dans la cité qu’il a quittée pour une autre cité…
La boucle est bouclée.
Zébra
(Gilles Rochier, Ed. 6 pieds sous terre, 16 euros)