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La Crème de Crumb****

L’Américain Robert Crumb, réfugié politique en France* depuis une vingtaine d’années, a acquis grâce àwebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,robert crumb,cleveland,cornélius,crème de crumb,fritz the cat,mad,harvey kurtzman,garry groth,féminisme,brueghel,charles bukowski,comics,jack kerouac,lsd,self made man,américain l’exposition de son travail au Musée d’art moderne en 2012 le statut d’artiste international. On a senti alors une certaine réserve de la part de cet iconoclaste, passé de l’ombre de l'underground à la lumière du musée. La muséographie est l’art de l’éclairage et de la mise en valeur, et occulte le plus souvent les zones d’ombre de la contre-culture. Il faudrait une histoire de l’art non-académique pour traduire le véritable sens de la contre-culture.

L’intérêt de la longue interview biographique de R. Crumb, qui tient lieu de préface aux nombreux extraits de son travail, vient de ce que cet artiste est né, a grandi et a vécu dans la nation où la culture de masse est la plus étouffante. R. Crumb ne se prive d’ailleurs pas de citer en modèle Brueghel et de dénigrer les « comics » :

- Gary Groth : Qu’est-ce que tu as contre le romantisme ?

- Robert Crumb : Je ne sais pas quel est le problème exactement. Tout ça s’est prolongé dans Superman, les super-héros et les bandes-dessinées d’aventure « réalistes », tous ces trucs d’évasion.

- Gary Groth : Tu te sens encore étranger à ta culture ?

- Crumb : Oh, putain, oui. Le seul moment où je n’ai pas eu cette impression, où j’ai même commencé à me dire que je faisais peut-être partie du truc, c’était à la fin des années 1960, pendant la période hippie. Même si je ne me sentais pas tant que ça en phase avec le mouvement hippie (…).

Cet isolement, Robert Crumb l’a d’abord ressenti au sein du foyer familial, installé à Cleveland, puisque les difficultés de ses parents le plongèrent, lui et son frère aîné, dans la lecture et le dessin de petites BD inspirées de gazettes humoristiques comme le célèbre « Mad » (Harvey Kurtzman). Il raconte sans ambages et de façon pittoresque une enfance américaine typique :

« Et donc il y a avait toujours une tension entre mes parents parce que mon père ne supportait pas le côté fêtard de ma mère et de sa famille, qui ne pensaient qu’à se saouler et à s’amuser. Le reste, ils s’en foutaient. Mon père, à l’inverse, avait un sens aigu du devoir, de l’honneur et tous ces trucs. C’était constamment une source de tension. Quand un salaire arrivait, ma mère voulait toujours le dépenser, tout claquer tout de suite. Ils se disputaient toujours au sujet de l’argent, ce qui est typique du petit bourgeois de la classe moyenne. »

Cette marginalité, subie au début, Crumb a réussi grâce à son art à la transformer en individualisme. Bien que « self made man » à sa manière, Crumb est un Américain pas comme les autres, et cela rend son témoignage unique. De la culture américaine, Crumb ne sauve pas grand-chose d’autre que cet espèce de fugueur frénétique de Jack Kerouac, Charles Bukowski, romancier politiquement incorrect et provocateur, et quelques musiciens de jazz déjantés.

Crumb n’hésite pas à mettre « ses couilles sur la table » : il déballe ses frustrations et ses désirs sexuels pour les femmes costaudes, ses convictions politiques communistes teintées de scepticisme anarchiste, parle de célébrité, d’argent et de femmes,  évoque les rencontres décisives de sa carrière artistique, de la façon dont le LSD a changé sa vie, ou encore de la façon dont la musique, selon lui, a perdu sa sincérité.

Comme l’opinion de Crumb sur le féminisme est à peine plus orthodoxe que celle qu’il a de la famille, son interlocuteur G. Groth l’interroge longuement sur cette épineuse question, devenue pratiquement aujourd’hui un enjeu de politique internationale. « Le principal défaut du féminisme, c’est qu’il n’incluait pas de questions de base sur le fonctionnement du système mais voulait simplement que les femmes y soient présentes. » Crumb n’est pas du genre à botter en touche, et se montre aussi capable d’autocritique :

- G.G. : « Même aujourd’hui, tu ne te considères pas comme un bon dessinateur ? »

- R. Crumb : « Non. Je ne l’ai jamais été. Je n’ai jamais été dessinateur du tout. »

… et avoue même un certain plaisir à pratiquer l’autodénigrement.

Plusieurs exemples de la production de Crumb suivent ensuite, destinée aux adultes, de courts chapitres humoristiques. On peut y découvrir ou redécouvrir les différents antihéros bizarres, mi-humains mi-animaux le plus souvent (Fritz-the-cat, Big-Foot), dont l’artiste s’est servi pour donner sa version du rêve américain dans plusieurs fanzines.

*R. Crumb justifie en effet son exil par le durcissement de la politique et des mœurs américaines depuis les années 90.

La Crème de Crumb, Cornélius, 2012.

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