La résistance des contes ou des fables mythologiques à l’usure du temps impressionne, intrigue, ou bien encore agace. En effet les ouvrages d’art modernes, en comparaison, mettent parfois moins de deux générations à sombrer dans l’oubli. Autrement dit, les contes paraissent bénéficier de l’appui de la nature et ses lois apparemment immuables, tandis que la production moderne repose sur le caprice ou l’inconstance psychologique de l’homme.
Le symbolisme des contes, leur langage parabolique, démontre un savant humaniste de la Renaissance, est fait pour protéger le sens profond recelé par ces contes des vicissitudes du temps, mieux qu’il ne le serait par une formulation explicite. Car la société, précise ce savant, repose sur un jeu de pouvoir qui s’accommode mal de la vérité ou de la transparence. Peut passer pour véridique en société ce qui n’est en réalité que la règle du jeu. C’est particulièrement net dans les sociétés soi-disant «rationalistes», où l’équation de la technique et de la science est posée, en même temps que celle de la rhétorique et de l’art, quand bien même la technoscience n’est qu’un moyen, très limité en termes de connaissance. Dans cette configuration récente, l’homme devient alors, pour des raisons liées à la science technique, la source et le but de la science, ce qui n’est pas sans entraîner un certain nombre de paradoxes.
Il faut comprendre que l’intention artistique des contes anciens diffère radicalement de l’intention moderne, beaucoup plus «psychologisante» et centrée sur l’homme.
Philippe Bonifay et Fabrice Meddour ont tenté de faire une BD sur la genèse de «Blanche-Neige», dont les frères Grimm ont contribué à la renommée internationale en couchant sur le papier leur version au début du XIXe siècle. Bien qu’il ne soit plus inconnu de personne, après avoir marqué des contrées germaniques, bavaroise ou de Basse-Saxe (mais provenant peut-être d’Italie ou d’ailleurs), ce conte conserve un parfum de mystère ou d’énigme, ne serait-ce qu’en raison des explications diverses et contradictoires qui sont proposées de son sens caché. L’éventail de symboles déployé est en outre assez large : miroir, cercueil de verre, peigne empoisonné, sept nains...
Le scénario de Bonifay prend le parti de situer l’origine du conte dans un fait divers dramatique local, mettant aux prises une marâtre (belle-mère) et sa fille adoptive, ainsi qu’une troupe de saltimbanques comportant quelques nains, fait divers dont les frères Grimm auraient arrangé le récit. S’il est assez bien mené et servi par le dessin de F. Meddour, «gothique» sans tomber dans le kitsch, le psychodrame de Bonifay s’écarte vraisemblablement de l’origine du conte.
Parabole païenne ou chrétienne, c’est d’abord ce qu’il faut démêler afin de deviner le sens caché de «Blanche-Neige». Le christianisme, comme on peut le voir avec Shakespeare, introduit la dimension historique dans le conte ou la mythologie, puisant ses symboles dans l’apocalypse de Jean, où le Christ de la fin des temps apparaît sous la forme d’un cavalier couronné. L’explication païenne opposée serait celle d’une transposition de la lutte entre l’hiver (la marâtre) et le printemps (Blanche-Neige), et donc d’un sous-entendu équivalent de celui de la fable antique de Perséphone. Cette seconde explication est moins convaincante, car elle laisse une bonne partie du symbolisme sans explication.
Blanche-Neige, Philippe Bonifay et Fabrice Meddour, Glénat 2013.