... nous écoute.
J’observe que le cinéma idéalise presque toujours la guerre. Il la rend esthétique. Non seulement les films de propagande, mais y compris quand c’est l’intention du metteur en scène de souligner la dureté de la guerre et des combats, il n’y parvient pas. Surtout la guerre moderne. Comme si la pellicule était toujours trop sentimentale, incapable d’imprimer des émotions fortes, et le cinéma un art réservé aux soldats et aux militants.
En revanche j’ai lu quelques BD qui traitent de la guerre de façon crue… "Dans la Nuit la Liberté" est le récit de la guerre coloniale d’Indochine à partir des souvenirs d’Albert Clavier, jeune "patriote communiste" français, engagé dans l’armée française pour échapper à son milieu, très pauvre.
Pour de jeunes hommes peu avertis, l’armée a en outre souvent le parfum de l’aventure (cf. L.-F. Céline). Un sergent-recruteur jovial et sympathique, et hop, le tour est joué ! Il faut préciser qu’Albert Clavier est seulement communiste, au départ, parce que c’est l’idéologie dans laquelle baignent son milieu et sa famille (Lénine a lui-même admis que le communisme est souvent demeuré aussi superficiel que peut l’être n’importe quelle religion.)
Très vite écoeuré par les exactions commises par l’armée française sur la population civile ou les prisonniers, se sentant lui-même devenir aussi "nazi" que les Allemands abhorrés de son enfance, sous l’Occupation, Albert va peu à peu basculer dans le camp opposé du vietminh, et devenir peu à peu officiellement un traître et un déserteur. L’inquiétude des conséquences pour sa famille va vite faire place à celle de se retrouver en position de tuer des compatriotes, ou contribuer à planifier leur mort; puis la seule préoccupation de la survie dans une jungle hostile, parmi des terroristes-résistants spartiates, va primer sur tout. Albert Clavier finira donc la guerre dans le camp des vainqueurs, même si ce n’est pas tout à fait la fin de l’histoire.
Bien que le dessinateur de cette BD, Maximilien Le Roy, soit lui aussi communiste, le propos n’est pas idéologique. Albert bascule surtout parce que, malgré son statut, il n’est pas capable de tuer ni de torturer. "Lâcheté", dira celui dont c’est le métier, tandis que le déserteur objectera sa conscience ou son individualisme.
L’argent ou l’intérêt, la jalousie, ne sont pas les seuls motifs d'assassinat: le communisme l'a été aussi; c’est donc bien plutôt une histoire comparable à celle d’Antigone et Créon, racontée ici. Dans le choc entre des nations titanesques, dont on voit que les mécaniques ne peuvent s’arrêter avant d’avoir fait un tas substantiel de victimes et de massacres, la capacité d’un seul à s’opposer à l’holocauste de l’homme, par l’homme, pour l’homme, a quelque chose de stupéfiant et d’absurde. Absurde, car la seule raison de s’y opposer, il la trouve surtout en lui-même. Après tout, l’espèce a peut-être besoin de gigantesques saignées, comme ça, de temps en temps, pour fertiliser la terre ou pallier l’absence de prédateur véritablement dangereux pour l’humanité ? Mais l’individu, en conscience, peut refuser de se soumettre à cette loi.
Un dossier de quelques pages conclut cette BD, évoquant plus en détail le cas de ces soldats français (ou allemands), peu nombreux, qui passèrent dans le camp opposé, et dont peu réchappèrent à la guerre et à la jungle.
Dans la Nuit la Liberté nous écoute, par Maximilien Le Roy, éd. Le Lombard, 2011.
(par Zombi - leloublan@gmx.fr)