Jérôme Bosch - Le Jardin des Délices (détail)
+ Un certain confort moderne occidental a pu faire oublier le constat philosophique de la banalité du mal. La violence ne fait pas moins partie de la culture que la peur ou le plaisir. Peintre des facettes de la monstruosité humaine, Jérôme Bosch (1450-1516 environ) s'imposait en frontispice de la revue de presse de cette semaine très agitée (Bosch dont les peintres surréalistes ont donné une interprétation erronée).
+ Peut-on rire de tout ? C'est sans doute plus facile quand on n'est pas directement concerné. Le gouvernement russe a officiellement protesté contre plusieurs dessins parus récemment dans "Charlie-Hebdo" (6 nov.), tirant un parti comique de l'attentat contre un avion civil russe au-dessus de l'Egypte. Le Kremlin utilise l'expression typiquement soviétique de "blasphème contre la démocratie". La démocratie blasphème contre elle-même quand elle est tributaire d'une industrie et de budgets militaires au point où le sont la Russie et la France.
Deux dessins parus dans "Charlie-Hebdo" (signés Gros et Juin) jugés blasphématoires par le Kremin.
+ Le mot de "guerre" a récemment été prononcé par plusieurs représentants de l'Etat. La mobilisation et l'unité nationale, si elles sont favorables au militantisme et à "l'art engagé", ne sont guère propices à la satire, plus désarmante ; la plupart des caricaturistes sont contraints en temps de guerre de "choisir leur camp", tel l'anarchiste Poulbot, réquisitionné par la propagande. La Une de "Charlie-Hebdo" cette semaine, grâce à Coco, évite de tomber dans le manichéisme façon "salauds de terroristes contre bons flics républicains". Après ses dessins sur les victimes russes, "Charlie-Hebdo" ne pouvait faire moins que d'ironiser aussi sur les attentats de Paris.
+ Depuis la fusillade meurtrière de "Charlie-Hebdo", et en raison du développement des réseaux sociaux, on assiste à l'émergence d'un nouveau genre d'art brut. Des centaines d'hommages aux victimes, sous la forme de dessins, ont été publiés sur Facebook et Twitter au cours des heures qui ont suivi la fusillade au Bataclan - certains dans un style très sulpicien, mettant en scène Marianne, figurant la République émue aux larmes par la perte de ses enfants.
Plus attentif aux détails (trop ?) le dessinateur américain de super-héros, Lee Joel Bermejo, semble avoir remarqué, vu son hommage, que les kamikazes du Bataclan ont déclenché leurs tirs un Vendredi 13 sur les paroles de "Kiss the Devil" (embrasse le diable) du groupe "Eagles of Death Metal". Les membres du groupe sont miraculeusement sortis indemnes du carnage.
+ Caricature presque assumée du "bobo", Joann Sfar donne son avis sur Instagram, Twitter et dans le "Huffington Post". Mais le dessin d'opinion est le contraire du dessin satirique. La tentative de J. Sfar d'imposer le culte de soi-même en guise de religion la plus oecuménique prêterait à sourire si les opinions de Sfar n'étaient pas reprises par des journalistes se prétendant sérieux.
On regrette que les caricaturistes français n'aient pas été plus nombreux à "prendre du recul", à l'instar du Suisse Chappatte (ci-dessous), car si à ce train-là il n'y aura bientôt plus que les armes qui auront du recul.
Dessin de Chappatte (International Herald Tribune).
+ Encore au chapitre de la violence, la bibliothèque Saint-Simon (Paris, 7e) organise une rencontre sur le thème de la "violence faite aux femmes" le 26 novembre ; autour de Marie Moinard, éditrice qui regroupa une centaine d'artistes à l'ouvrage dans trois BD successives dénonçant les brutalités dont sont parfois victimes les femmes (inscription : bibliotheque.saint-simon@paris.fr).
On peut cependant se demander si la violence dans le monde moderne ne requiert pas une approche plus large, tant elle prend des formes variées et subtiles ; on comprend que les associations qui viennent en aide aux victimes soient spécialisées, mais l'étude ne devrait pas l'être autant. Le thème de la violence des riches est rarement abordé, alors que la richesse est probablement le premier facteur de violence dans le monde, la première cause d'inégalités (non seulement les relations entre sexes opposés).
Affiche pour "En chemin elle rencontre..." (Marie Moinard).
Commentaires
"Bosch dont les peintres surréalistes ont donné une interprétation erronée" : que voulez-vous dire par là ?
Désolé d'avoir laissé votre question en suspens. Les surréalistes accordent une grande importance aux rêves et à l'onirisme : leur fascination pour l'artiste chrétien Jérôme Bosch a pu faire croire que celui-ci était lui-même un peintre "surréaliste" ou "fantastique". Il n'en est rien : Bosch est un peintre réaliste chrétien. Sa peinture traduit assez scrupuleusement l'idée évangélique selon laquelle le monde ou la société n'est rien qu'un mauvais rêve ou un cauchemar, peuplé de monstres (à comparer avec le christianisme social truqué des élites occidentales, dénoncé par Shakespeare).
C'est une réalité extérieure au monde qui est supérieure du point de vue chrétien (une partie de l'Antiquité pensait de même), tandis que les fantasmes et les rêves sont le propre de l'homme, de nature pécheresse inférieure. Bosch et les surréalistes ont donc sur le sujet du rêve des conceptions antagonistes ; ils ont seulement le thème du rêve en commun.
- Quant à la psychanalyse, elle se situe au milieu, dans la mesure où elle ne prend pas vraiment parti pour ou contre les rêves. La psychanalyse est faite au départ pour soigner de grandes bourgeoises allemandes de leur puritanisme excessif. Or le puritanisme a une dimension onirique extraordinaire, qui dépasse peut-être même en puissance certaines drogues. Il n'est pas difficile de déceler le puritanisme chez un drogué, de même que le puritanisme indique une prédisposition à la prise de produits stupéfiants.
Le problème des surréalistes est le même que celui des alcooliques, qui interprètent tout à travers le dernier verre d'alcool qu'ils ont bu.