Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Tomi Ungerer - Un point c'est tout***

Dans une interview-fleuve de près de deux-cent pages accordée à Stephan Muller, webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,tomi ungerer,stephan muller,interview,un point c'est tout,bayard,alsacien,illustrateur,terroriste,libertin,sade,canular,william cole,new york,max ernst,jack lang,orwell,france,jazz,irlande,parisl’Alsacien Tomi Ungerer, qui se définit lui-même comme un «terroriste de l’humour», multiplie les anecdotes tirée d’une vie d’artiste (il est désormais octogénaire), dont le but semble avoir été de ne jamais se faire tout à fait accepter dans le monde des adultes.

Les démêlés de cet auteur de livres pour enfants, affichiste et dessinateur de presse, avec différentes sortes de moralistes, féministes ou pédagogues, notamment américains, viennent d’ailleurs sans doute de là : l’enfant ne prend pas toujours les adultes au sérieux, et sans doute d’autant moins qu’il a été confronté, comme Ungerer, aux atrocités absurdes de la guerre, où les masques tombent et les grands discours sur la liberté, l’égalité et la fraternité font « pschittt ».

Le hasard a fait naître Ungerer dans une famille protestante plutôt bourgeoise, mais que le décès prématuré de son chef, père de Tomi, plaça dans une situation aussi précaire et inconfortable qu’une famille d’ouvriers. Ungerer revient sur les circonstances et le cadre plutôt exceptionnels de son enfance afin de tenter d’élucider les paramètres psychologiques prédéterminés de son existence ; en particulier son goût pour les jeux sexuels libertins, qui lui ont valu les foudres des ligues de vertu féministes (U. ne dissimule pas en effet son goût pour les femmes soumises, bien qu’il ne fasse pas l’apologie de la strangulation ou du viol, comme Sade, mais critique plutôt la mécanisation des rapports sexuels dans la société moderne).

Ungerer ne rechigne pas à raconter plusieurs canulars qu’il mit en œuvre aux dépends de la bonne société new-yorkaise, où il parvint à faire son trou dans ses jeunes années, louant un grand appartement dans un quartier chaud ; aux dépends de la bonne société, voire de ses amis :

« L’un de mes meilleurs amis, le poète et génial touche-à-tout William Cole, qui avait partagé ma maison tout un été, compte parmi mes plus belles victimes. Dans le New York des années 1960, nous étions deux effrayants érotomanes dévorés par une passion commune pour les femmes, concoctant des orgies avec un luxe de minutie. Une seule chose me mettait mal à l’aise chez lui : sa haine viscérale des Allemands. Lors de mes voyages en Europe, j’avais, à dessein, emporté dans mes bagages un brassard nazi récupéré à la Libération. Pas un simple brassard de militant, non, un brassard destiné aux dignitaires du régime. L’amener à New York s’avérait stupide, irraisonné. J’allais lui trouver une utilité inattendue. Un soir que Bill était passé dîner chez moi, je me suis amusé à glisser à son insu le brassard à la manche de son imperméable. A son départ, je l’ai aidé à enfiler son manteau, si bien qu’il ne s’est rendu compte de rien. Je ne peux qu’imaginer les regards assassins qui l’ont transpercé lorsqu’il a traversé New York en métro, cette ville où le souvenir de la guerre était si présent et la communauté juive si importante. Il m’en a voulu terriblement. Et il ne m’a jamais rendu mon brassard. » (...)

« J’avais également pour voisin le fils de Max Ernst, artiste comme son père. Il ne me portait sans doute pas dans son cœur, puisqu’il ne m’invitait à aucune de ses innombrables soirées. En représailles, je m’amusais parfois à attacher une fille nue à l’une des colonnes de ma maison, puis je m’installais en retrait, soit dans un hamac, soit dans un rocking-chair, un fusil posé en travers de mes cuisses. Les invités ne manquaient pas de découvrir la scène et je choisissais ce moment pour trahir ma présence en tirant un coup de feu en l’air. Les convives incrédules entendaient la balle siffler au-dessus de leur tête et couraient se planquer dans la maison. C’était à mourir de rire. Vraiment. »

La violence des blagues subversives imaginées par Ungerer, proche de l’infraction de l’humour noir aux conventions sociales, si ce n’est de l’esprit de la fable et du conte, Ungerer l’explique par l’impression de lavage de cerveau subi à l’école de la doctrine nazie, obligatoire après l’invasion de l’Alsace, provoquant de sa part ce type de réaction.

Son idéal de réconciliation franco-allemande valut à Ungerer d’être « récupéré » par la gauche naguère (Jack Lang), dans les années où ce mobile pacifiste fut mis au service d’une politique européenne qui ressuscite la germanophobie des milieux populaires en France aujourd’hui, en raison de sa faillite ; cependant Ungerer est, dans l’ensemble, assez irrécupérable, un esprit plus iconoclaste que « bien-pensant », à qui il est assez difficile de coller une étiquette politique.

L’intérêt de ce témoignage réside largement dans son franc-parler, qui tranche avec le militantisme publicitaire ambiant ; Ungerer est un artiste-conteur chez qui l’envie de raconter l’emporte sur celle de dissimuler, caractéristique des milieux intellectuels (dont la tournure d’esprit s’accorde avec le totalitarisme, indique Orwell). La curiosité et l’audace enfantine d’Ungerer lui ont permis en outre de se confronter à des milieux et des personnalités très variées : voyous, marins, bidasses, putes, poètes, musiciens de jazz, cow-boys, militants de la cause noire, pacifistes, etc., dans des pays et des villes aussi différents que New York, Paris, Strasbourg, l’Irlande. Passé de l’enthousiasme à la méfiance, au cours de son séjour aux Etats-Unis (« Pour moi, les Etats-Unis étaient le pays des SS – les Sauvages et les Spécialistes »), Ungerer n’est pas indulgent pour autant avec la France, où sévit selon lui un élitisme arrogant.

On regrette de cette sorte d’autoportrait paru chez Bayard (!) la photo de couverture qui donne un air mélancolique à l’artiste, et surtout le manque d’illustrations, inédites ou peu connues.

 

Tomi Ungerer – un point c’est tout, Bayard, 2011.

webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,tomi ungerer,stephan muller,interview,un point c'est tout,bayard,alsacien,illustrateur,terroriste,libertin,sade,canular,william cole,new york,max ernst,jack lang,orwell,france,jazz,irlande,paris

(Sans titre, illustration aquarellée de T. Ungerer)


Les commentaires sont fermés.