Une consoeur critique a imaginé pour ranger son blog une sous-rubrique facétieuse : "BD-qu'elle-est-bien-pour-se-suicider". Sans hésiter, je place "La Conversion" de Matthias Gnehm sur cette étagère, tant l'atmosphère peinte par celui-ci renverse les clichés sur la Suisse, ses chalets mignons et ses paturages verdoyants. En Suisse, le mélodrame-BD de M. Gnehm se déroule et s'achève - mal, comme les histoires d'amour en général... ou de religion.
Cette étiquette macabre est, bien sûr, pour plaisanter, là où on discerne plutôt l'effort pour faire de la BD avec d'autres ingrédients que les bons sentiments, après des lustres de pralines franco-belges.
"C'était dans le village qui, autrefois, il y a vingt-cinq ans, était considéré par beaucoup comme le plus laid de tout le pays. (...) Seul celui qui avait grandi ici pouvait voir des choses qui demeuraient invisibles au reste du monde. (...) Quand il n'y avait pas de brouillard. Car lorsqu'il y avait du brouillard, il était alors si épais et si persistant, que les autochtones se retiraient dans leurs mondes intérieurs. Et certains se rendaient alors dans cette église étonnamment élégante construite dans les années trente."
Le propos n'est pas ici contre ou pour la religion : c'est tellement facile de dénoncer le fanatisme de son voisin ! Plus subtilement, M. Gnehm montre le lien étroit entre le sentiment amoureux et la religion. Kurt, l'ado. au centre de cette intrigue mi-sentimentale, mi-religieuse, sorte de Roméo prépubère, va se détacher des opinions athées maternelles pour se rapprocher des convictions religieuses bizarres de Patrizia, dont il est tombé amoureux. Seule la folie de cette dernière mettra un terme à la "conversion" de Kurt.
Le rapprochement du désir, de la folie et de la religion n'est, certes, pas franchement nouveau en littérature, mais il est assez bien amené dans cette BD, peu moralisatrice. D'ailleurs, comme c'est le truc de base des sociétés mercantiles de stimuler le désir du citoyen lambda, si l'observation n'est pas franchement nouvelle, il n'est pas non plus démodé ou inutile de rappeler que la foi ou les convictions éthiques - non seulement l'érotisme -, ont un caractère "oedipien" ou incestueux.
Ed. Atrabile, 2011.
NB : Et toujours cette présentation chic et puritaine des éds. Atrabile (sans pagination), que je n'aime pas.
Zombi