L’association «Papier Gâché» organisait la semaine dernière la 3e édition du festival de la «micro-édition graphique», de conserve avec la médiathèque Marguerite Duras (Paris XXe). J’y suis allé faire un tour en visiteur, le dernier n° de Zébra n’étant pas paru à temps pour cet événement (l’année dernière, le n°4 y fut exposé et ajouté au fonds de la bibliothèque Duras, qui permet ainsi aux plus obscurs artistes de laisser une trace).
Je m’y suis rendu, donc, surmontant mon aversion pour les manifestations culturelles. J’ai commencé par me perdre, non pas que le chemin soit compliqué du M° Alexandre Dumas jusqu’à la médiathèque, mais sans doute incité par mon cerveau reptilien à faire de la marche à pied plutôt que du lèche-fanzine. Si l’instinct fait l’artiste, alors je serais plutôt du genre «artiste-randonneur».
L’architecture variée de ce quartier peu connu de moi m’a distrait une bonne heure, le cimetière du Père Lachaise exhalant son parfum troublant, mi-végétal, mi-macabre, par quelques trouées qui donnent sur ses flancs murés. Si j’étais Karl Lagerfeld, me dis-je, je tirerais de ce parfum une fragrance pour vieux beaux décidés à plaire à la jeunesse jusqu’au bout... L’art est mort, place aux stylistes !
J’en étais là de mes pensées esthétiques quand je pénétrai enfin dans Marguerite Duras, surmontant mon dégoût comme je disais précédemment.
Mon impression première fut d’une qualité moyenne des œuvres exposées incomparablement supérieure à celle des œuvres proposées à la FIAC, ne serait-ce qu’en termes de rapport qualité-prix. Si j’avais été le commis de quelque grand collectionneur d’art, j’aurais tout acheté sans rentrer dans les détails, épargnant la peine à ce groupuscule d’Allemandes féministes de tenter de séduire des chalands français dans la langue de F. Bacon.
Tout bon boursicoteur qui se respecte sait qu’il faut acheter quand les cours sont au plus bas, et vendre quand ils sont au plus haut, contrairement à la masse des petits épargnants frileux, soit dit en passant à l’attention des amateurs d’art qui arpentent les allées de la FIAC en quête d’une bonne affaire, ni trop positivement décorative, ni trop positivement laide.
Ah, le consommateur français n’est pas facile !... Cela doit venir de sa gastronomie délicate.
- Pourquoi serais-je moins précautionneux avec mes yeux, se dit-il, que je ne le suis avec mon estomac ?
Et ainsi le consommateur français est "nietzschéen" sans le savoir, comme Monsieur Jourdain avec la prose. Il privilégie son bon plaisir sur les grandes idées vagues.
Objets, paradoxalement beaucoup d’objets parmi les fanzines exposés, pendant le plus artistiquement du monde au bout de longs fils de lin/nylon (?) blanc, derrière lesquels je devinai sans peine la main délicate d’une femme-artiste –ou bien d’un "inverti" (pour parler comme Nietzsche).
L’objet, qui est le b.a.-ba du concept, et sans lequel nous n’aurions pas de chaises pour nous asseoir, certes, mais que j’ai personnellement tendance à fuir en raison d’un atroce cauchemar que je faisais, étant enfant (où je mourrais asphyxié sous une pile d’objets).
En quête d’un peu d’impureté, au beau milieu de toute cette humaine perfection (ce n’est pas une manie nouvelle de la culture de vouloir nous édifier), je tombai en arrêt devant l’adaptation, par Hugo Ruyant, de Gentilhommes d’Infortunes de Pierre Mac Orlan; ces planches me firent regretter aussitôt d’avoir tout oublié du peu que j’ai jamais su à propos de Pierre Mac Orlan, et de ne pouvoir ainsi apprécier cette transposition à sa juste valeur.
Je parvins tout de même à prendre un peu mon pied grâce à un petit fanzine nantais intitulé «La grande encyclopédie des maladies», basé sur le principe ludique extrêmement simple, mais néanmoins efficace, que le sida ou le cancer sont assez cocasses tant qu’on ne les a pas attrapés.
Sur ce, à l’année prochaine !
(4e de couv. de la "Grande encyclopédie des maladies", et, plus haut, dessin préparatoire de Hugo Ruyant pour son adaptation de "Gentilhommes de Fortunes")