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jijé - Page 2

  • Thoreau ou la vie sublime***

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    (Gravure d'après un bas-relief de Walton Riketson - critique BD à paraître dans Zébra n°4 - octobre 2012)

    Henry David Thoreau (prononcer « soro ») est un précurseur des hippies, à la veille de la guerre de sécession des Etats-Unis. Injustement méconnu au profit de moralistes parfois tout à fait creux.

    L’esclavagisme fonde le dégoût de la société et de la politique de cet anarchiste qui trouva refuge dans la forêt (mais s’abstînt en raison de son pacifisme de lutter physiquement contre l’esclavage). Comme il n’y a pas d’esclavage sans argent, ni d’argent sans esclavage, celui-là révulsait Thoreau autant que celui-ci, et il l’a exprimé dans de nombreux aphorismes : « Si je n’avais qu’à lever le petit doigt pour posséder toutes les richesses du monde, je trouverais encore que c’est trop cher payé. » Thoreau considère l’argent comme la peste ou le choléra, un agent infectieux qui finit nécessairement par avoir raison du corps social.

    (Un autre anarchiste, Marx, aurait répliqué qu’il n’y a rien de plus naturel que l’argent, ou bien encore que la violence est dans la nature, à l’état pur ; où Thoreau voit une solution ou bien une parade à la corruption sociale (dans la nature vierge), Marx voit plutôt la cause du problème.

    *

    Pas facile d’adapter en bande-dessinée la vie d’un tel type, qui a fait l’effort toute sa vie pour penser autrement, au lieu de chercher à conquérir quelque partie du monde.

    La biographie de M. Leroy et A. Dan fait penser à ces vies de saints catholiques illustrées ou en BD, produites en grand nombre dans les années 50-60, dans le but d’édifier la jeunesse, genre auquel le Belge Jijé prêta son savoir-faire, lui évitant de rester entièrement au niveau de l’imagerie d’Epinal ou « sulpicienne ».

    Saint laïc, Thoreau ? La BD nous apprend qu’il n’était pas tant fâché avec dieu qu’avec la façon dont les hommes en parlent, au point d’en faire souvent une arme de destruction massive… comme l’argent.

    Maximilien Leroy n’a sans doute pas le talent de Jijé, et il est trop jeune pour ça, mais l’absence de virtuosité s’accorde bien avec le sujet choisi, puisque Thoreau est tout sauf élégant.

    « Thoreau » ou « La Vie sublime », par A. Dan et M. Leroy, 2012, éd. Le Lombard, 20 euros.

  • Gringos Locos*

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    Parti à l'aventure sur la côte ouest des Etats-Unis à la fin des années 50, le trio Jijé-Franquin-Morris est mythique pour les amateurs de BD franco-belge. Bien sûr les deux derniers sont connus pour avoir inventé Gaston Lagaffe et Lucky-Luke ; Joseph Gillain alias Jijé, moins connu, fut leur mentor ; beaucoup plus éclectique que ses disciples, il n'a peut-être pas connu pour cette raison un aussi grand succès ("Jerry Spring", "Blondin et Cirage", "Valhardi", sont -entre autres séries- de sa plume.)

    "Gringos Locos", par Schwartz et Yann, tente de raconter en BD les aventures réelles de ces personnages réels, bien qu'imprégnés de fiction, comme on peut l'imaginer. Les 35.000 exemplaires de l'album publié par Dupuis ont bien failli ne pas sortir de l'imprimerie. Les héritiers de Jijé et Franquin ont tenté de s'y opposer, jugeant le propos plus proche de la caricature que du portrait, voire carrément désobligeant ; Jijé est, par exemple, décrit dans l'album comme un "chef de clan surexcité, grossier et cul plus que béni".

    Finalement dans les rayons des libraires, "Gringos Locos" ne décevra pas que ces héritiers. Pour d'autres raisons que ce portrait de Jijé, relativement fidèle et qui souligne le paradoxe du personnage, à la fois truculent et dévôt catholique Wallon. En effet le style de Yann, impeccablement imité de Chaland, n'est pas directement en cause, mais il incite à la comparaison avec ce dernier. Or l'humour de Chaland était plus fin ; celui-ci avait trouvé une manière cocasse de souligner le grain de folie de la BD belge à ses débuts, et de faire deviner ses raisons, dont le mélange de morale puritaine désuète avec une technique artistique très moderne. Parue dans "Métal hurlant" n°64 (1981), "La vie exemplaire de Jijé" par Chaland est d'ailleurs consultable sur la toile.

    Zébra

    - "Gringos Locos", mai 2012, éd. Dupuis, 15,50 euros.

    - Sur l'illustration de couv., le trio est caricaturé dans cet ordre : Morris, Jijé, Franquin.


     

  • Pablo (T.1 Max Jacob)***

    (Critique parue dans Zébra n°2)

               L’exercice de la biographie en bande-dessinée est un des plus difficiles. On compte à ce jour peu de réussites. Parfois citées en exemple, les biographies du Belge Joseph Gillain, quoi que fort bien dessinées, ont le défaut de n’être que des hagiographies. Ainsi dans son récit de la vie du fondateur du mouvement scout, le général britannique Baden-Powell (ouvrage de commande), J. Gillain, alias Jijé, omit-il de mentionner l’invention des camps de concentration de prisonniers civils par l’état-major britannique, dont Baden-Powell faisait partie, lors de la guerre coloniale des Boers en Afrique du Sud (opposant les Britanniques aux colons hollandais) (1899-1902).

     

                L’Américain Edouard Sorel est un cas beaucoup plus rare, qui n’a pas hésité dans ses « Vies Littéraires » dessinées (trad. française Denoël Graphic, 2006) à lever le voile sur quelques icônes des arts et lettres modernes, habituellement drapées des plus hautes vertus par les autorités culturelles (Tolstoï, Proust, Jung, Sartre, Brecht, notamment)… avec la conséquence qu’on imagine de faire scandale dans le Landerneau des lettres new yorkais (E. Sorel prouve au passage que les Yankees ne sont pas tous aussi politiquement corrects que l’on dit généralement en France).

                La bio. de Picasso, par J. Birmant et C. Oubrerie, se situe à peu près entre les deux, l’hagiographie selon Gillain, et le réalisme de Sorel. Plus près sans doute de ce dernier, y compris pour le dessin, assez agréablement relâché.pablo,picasso,birmant,clément oubrerie,fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,biographie,fanzine,edward sorel,jijé,joseph gillain

                Picasso ne suscite le plus souvent que des réactions d’idolâtrie débile, ou au contraire des insultes gratuites (sans arguments), comme ce fut le cas récemment de la part du romancier M. Houellebecq dans son dernier « best-seller ». Seulement esquissé, le portrait de Picasso est, dans cette bande-dessinée, plus équilibré.

                Heureusement le milieu artistique n’est pas épargné : peintres, modèles, marchands et collectionneurs, réunis comme larrons en foire. Je regrette l’insistance sur la romance de Pablo avec Fernande Olivier et ses préliminaires. Plus pittoresques sont en effet les aventures du groupe de peintres dont Picasso faisait partie. Max Jacob, notamment, n’est pas raté ! Toute l’innocente dévotion que le poète breton vouait au style hyper-viril de Pablo est même poussée jusqu’à la caricature, ce qui vaut encore mieux que l’hagiographie ou les bons sentiments.

               
    pablo,picasso,birmant,clément oubrerie,fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,biographie,fanzine,edward sorel,jijé,joseph gillainComme l’Education nationale s’avoue elle-même impuissante à enseigner les rudiments de l’histoire de l’art, cette bande-dessinée pourra pallier cette lacune et servir d’introduction à Picasso. Quelques scènes salaces ne troubleront pas nos « chères têtes blondes », vu la banalisation par la télévision des scènes de cabaret et danseuses à demi-nues, depuis que Picasso et son pote Casagemas débarquèrent à Paris, en 1900, n'en croyant pas leurs yeux de l'audace des danseuses de « French-Cancan ».           
                                                                                                                                                                                                                                                                                                              Zébra

    (Julie Birmant & Clément Oubrerie, Dargaud, mars 2012, 17 euros)