Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ulysse***

(Les chants du retour)

Un an après sa parution (oct. 2014), Jean Harambat a reçu le "prix de la BD historique duwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,ulysse,odyssée,jean harambat,actes-sud, château de Cheverny" pour "Ulysse" ; dans cette adaptation des derniers chants de "L'Odyssée", on voit Ulysse aborder enfin la terre promise d'Ithaque et reconquérir de haute lutte cette île modeste, ainsi que sa place auprès de Pénélope, qui seule ou presque avait attendu le retour du fameux héros à l'intelligence hors du commun, continuant d'y croire malgré tout.

On peut être surpris de l'attribution d'un prix d'histoire à une BD illustrant un récit mythologique. Cependant le voyage retour d'Ulysse, guidé par la sagesse personnifiée par Athéna, évoque la manière qu'ont certaines religions ou philosophies de l'histoire de faire coïncider la fin du monde avec l'ultime sagesse ou révélation ; que l'on songe seulement à l'importance que revêt la science en Occident, au moins comme leitmotiv. D'ailleurs Achille, le "pendant" d'Ulysse, semble mû par une force plus conventionnelle, et comme dépassée. Le héros de "L'Odyssée" surpasse les héros de "L'Iliade".

L'auteur de cette adaptation parue chez "Actes-Sud BD", passé par une "khâgne", a déclaré avoir fait le rapprochement entre le retour d'Ulysse et "Le Comte de Monte-Cristo", célèbre roman d'A. Dumas sur le thème de la vengeance. Mais il y a sans doute bien plus qu'une histoire de "come-back" vengeur dans "L'Odyssée" et, disons-le d'emblée, les comparaisons entre la culture antique et la culture bourgeoise moderne, à bien des égards sont abusives.

La sobriété du dessin de J. Harambat convient bien à une telle adaptation, mieux que n'aurait convenu un dessin académique et virtuose suivant une mode américaine de plus en plus envahissante. Les dessins illustrant les vases grecs d'épisodes de la mythologie, homérique ou non, sont eux-mêmes d'une simplicité presque troublante, compte tenu de l'exigence artistique actuelle d'exhiber son complexe (féminin ou autre).

La mise en images, fidèle aux chants d'Homère, est entrecoupée d'une sorte d'exégèse en bande-dessinée, tirée de Jean-Pierre Vernant, Jacqueline de Romilly, un historien, un libraire, etc. Et c'est là que le bât blesse, l'initiation à Homère est quelque peu entravée. Le propos frise en effet parfois la pédanterie (F. Hartog) ou la banalité (J. de Romilly).

Bien que la bande-dessinée soit un art moderne, et "L'Odyssée" l'archétype de la poésie grecque antique, leur réunion dans un album de BD ne doit pas faire oublier le fossé qui sépare Homère de la culture contemporaine. Les ponts jetés par ces universitaires entre Homère et la littérature contemporaine, les rapprochements qu'ils tentent sont assez chimériques... surtout entre Homère et Proust !

L'angle psychologique pour aborder la mythologie s'avère inepte (Freud a échoué à élucider un tant soit peu les tragédies de Shakespeare de cette façon).

Autre différence remarquable : les critiques et exégètes modernes commentent abondamment fables et mythes du passé, mais les littérateurs modernes n'en produisent pas eux-mêmes.

On retrouve donc dans les commentaires insérés entre les chants un travers ou un pli récurrent dans l'analyse universitaire moderne, qui consiste à étudier l'art et la littérature du passé à travers le prisme des valeurs actuelles. Derrière cette méthode, on devine un but ou une fonction religieuse : celle qui consiste à bâtir la légende dorée d'une culture occidentale "héritière de la culture gréco-romaine + judéo-chrétienne". Bien plus pertinentes sont les études (anti-académiques) de Nietzsche, Léopardi, voire Marx et Arendt, qui soulignent le fossé entre l'Antiquité et le monde moderne, au lieu de tout lisser sous la chappe d'une sorte de vernis culturel "bcbg".

"Ulysse, Les Chants du Retour", par Jean Harambat, Actes-Sud BD, 2014.

Commentaires

  • Vous mettez Vernant et Romilly dans le même panier ?

  • @Will : J. de Romilly est une grammairienne qui n'a jamais rien compris à la mythologie et aux Grecs. C'est vrai que Vernant explique mieux ce qui sépare les Grecs des Romains (grâce à Marx ?), mais il s'inscrit quand même dans la tradition scolastique "coloniale" du XIXe siècle, qui investit la mythologie et y place ce qui conforte les valeurs occidentales, ignorant le reste.

  • Dans ce cas vous proposez de voir comment la mythologie, si la conception des profs modernes et de la psychanalyse trahit l'esprit d'Homère?

  • Shakespeare a bien mieux compris l'usage et la profondeur de la mythologie : la preuve, il est le seul créateur de mythes et de personnages mythologiques dans les temps modernes. C'est ce qui en fait un auteur populaire, à l'écart ou au-dessus de la culture élitiste (qui est forcément un peu chiante).
    Shakespeare est grand parce qu'il dévoile tout à ceux qui ont le courage de regarder la réalité en face. Approchez-vous donc d'Homère à travers Shakespeare plutôt qu'à travers cette vieille grammairienne bigote de Romilly.

Les commentaires sont fermés.