Le moins qu’on puisse dire, c’est que Charb et Zineb ne plaisantent pas avec les valeurs laïques républicaines. Alors qu’un observateur indépendant pourrait croire que ces valeurs, sonnantes et trébuchantes, sont plus proches du second terme de leur évolution que du premier, nos deux héritiers des Lumières françaises, pour leur part, n’ont pas perdu la foi dans la vertu pédagogique des devises républicaines.
Déplorant l’ignorance crasse des Français et leur inculture religieuse, nos deux compères se sont fait un devoir de leur narrer par le menu la vie du prophète Mahomet, vénéré par les mahométans, pour combler cette lacune de l’Education nationale. Les confrères de Charb et Zineb, postés à l’avant-garde de la civilisation, apprécieront sûrement ce matériel pédagogique à sa juste valeur :
- Eh, m’sieur, pourquoi il lui a une aussi sale gueule, mon prophète, dans votre bouquin pédagogique ? Ce serait pas un peu raciste, des fois ?
- Mais non, pas du tout, monsieur Charb est un artiste incrédule, dont le parti-pris est de dessiner tout le monde sans exception avec une sale gueule, pour ne pas faire de jaloux. Il est moderne, point à la ligne. Tout comme vous, Oussama, vous vous exprimez à la manière de Louis-Ferdi…, d’un écrivain moderne très connu, cela sans même vous en apercevoir ! Vous aussi vous êtes moderne, Oussama, comme tout le monde.
- Ah non, moi, m’sieur, j’veux pas être comme tout le monde, j’veux être différent.
Tant qu’on y est, emporté par l’élan scientifique imprimé par Charb et Zineb, on pourrait carrément supprimer l’instruction civique au collège et la remplacer par… des cours d’histoire. Stupéfaits, nos chères têtes blondes découvriraient que la loi républicaine, sans l’appui des forces armées et de la police, ne serait rien. La neutralité, t’as qu’à croire… ou encore que, loin de répondre au calcul algébrique de la moyenne générale, l’intérêt collectif défendu par les lois de la République se trouve soumis à certaines pressions qui le décalent assez nettement de son point d’équilibre idéal.
C’est-à-dire que les valeurs dont Charb et Zineb sont si fiers, au point de friser l’arrogance, ne sont que le produit d’un rapport de forces, dont la rhétorique est loin d’être le seul appui. L’éthique républicaine, en ça, est conforme à n’importe quelle religion, tirant argument de dieu pour renforcer les intérêts les plus terre-à-terre. A la place de dieu, les sectateurs de la République mettent la loi républicaine ; et la pureté de la loi républicaine, ils l’inventent de toutes pièces en s’asseyant sur l’histoire.
L’argumentaire scientifique de Charb et Zineb ne vaut donc pas un clou. Bien sûr les lois contre le blasphème n’ont jamais protégé que les religions dominantes, et non les cultures minoritaires ou démodées.
La Vie de Mahomet, Charb et Zineb, eds. Charlie-Hebdo, 2013.