On sait ce que George Orwell pensait du sport moderne, en particulier du football, très bien implanté de son temps dans les villes ouvrières du Royaume-Uni afin d'acheter la paix sociale. Orwell pensait que le football était "l'école de la violence".
Qu'est-ce qui a changé depuis la mort d'Orwell ? L'Europe s'est désindustrialisée, les oligarques propriétaires des clubs de football trouvant d'un meilleur rendement l'exploitation de la main-d'oeuvre asiatique, indienne ou africaine ; d'un divertissement d'ouvrier qu'il était au début, le football est devenu un divertissement de chômeurs. Si le football joue aujourd'hui un rôle politique majeur, tout comme les Jeux olympiques, cela est tout simplement dû à l'importance du divertissement dans l'économie des nations dominantes.
Le nivellement vers le bas de la culture capitaliste, auquel très peu d'intellectuels se sont opposés comme G. Orwell, a élargi l'audience du football. "Charlie-Hebdo" n'était pas encore devenu un organe officiel du parti socialiste lorsque, en 1998, Lionel Jospin a blanchi le football à l'aide de quelques slogans publicitaires, de la même manière que l'on blanchit aujourd'hui les Jeux de Paris avec les Jeux paralympiques.
Le football n'a donc rien de "populaire" : il est caractéristique de l'élitisme d'après-guerre, d'une démagogie culturelle dont les exemples abondent.
Les compétiteurs sportifs sont parfois moins hypocrites que ceux qui organisent les compétitions ; le président de la FIFA a déjà à son palmarès plusieurs médailles d'or de la tartufferie. Ainsi certains compétiteurs reconnaîtront en toute simplicité que l'essentiel n'est pas de participer aux Jeux olympiques, mais bel et bien d'écraser l'adversaire.
Cette éthique de la violence n'est pas forcément visible pour le grand public ; mais la violence est-elle palpable lorsque l'on achète un ordinateur fabriqué par des esclaves ? Les compétiteurs ont appris à nier cette violence, pour protéger leur sport : l'omerta est l'une des règles de la compétition sportive, renforcée par le journalisme sportif.
Les compétiteurs se trahissent lorsqu'ils avouent -il ne faut pas beaucoup les prier pour ça- leur masochisme. Ce masochisme n'est pas sportif : c'est une maladie mentale induite par la compétition.
Une chose est sûre : si les compétiteurs sportifs n'étaient pas les esclaves, mais les maîtres, l'image brillante des Jeux olympiques seraient rapidement ternie dans l'opinion publique.
Les compétiteurs sportifs sont des esclaves bien payés, de sorte qu'ils incarnent le rêve inculqué par le Capital aux classes populaires.
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'un socialiste authentique comme George Orwell ait protesté contre cette école de la violence, dont le prestige excède parfois au XXIe siècle celui de l'école où on apprend des choses utiles.
Pourquoi le projet de restaurer l'esprit olympique de Pierre de Coubertin a-t-il échoué ? En un mot il a échoué parce que les jeux modernes sont une culture industrielle ; il y a autant de différence entre une tragédie de Sophocle et un film de John Ford qu'entre les jeux grecs antiques et les jeux modernes. Quel que soit l'angle sous lequel on l'envisage : sportif, artistique, technique, médical... la culture industrielle est violente.
L'Etat totalitaire terrorise et rassure, nous dit Orwell dans "1984", tantôt alternativement, tantôt simultanément. S'il se contentait de terroriser, ce ne serait pas un Etat totalitaire mais une simple dictature. C'est la capacité de Big Brother à rassurer qui emporte l'adhésion de la majorité des citoyens.
Les Jeux olympiques ont cette fonction rassurante, pour ne pas dire que cette fonction fait actuellement l'objet d'une surveillance policière et militaire extraordinaire, qui n'a rien à voir avec ce que l'on appelle communément "le bien commun".
Il est logique que les Parisiens ou les Français n'aient pas été consultés sur l'organisation des Jeux olympiques à Paris, car il s'agit de faire briller la France sur la scène internationale... dans une perspective de profit et d'investissement capitaliste.
Et gardons-nous d'imputer au seul chef de l'Etat français une telle initiative, car aucun des partis d'opposition n'a protesté sérieusement contre la tenue de Jeux olympiques qui ne paraissaient pas servir l'intérêt général.
Avec le mouvement des Gilets jaunes, on a peut-être atteint le stade où le corps social ne veut plus obéir à la tête dirigeante, dont la conception de l'Etat ou de la République se ramène à de mauvais calculs systématiques.
La difficulté de rompre avec la fascinante, si fascinante Société du spectacle violent et ses instruments de torture (les jeux antiques étaient sûrement moins magnétiques) est la même difficulté que pour l'alcoolique d'arrêter de boire : il ne faut pas seulement une méthode, il faut une bonne raison. La culture contemporaine est conçue pour ne pas en fournir.