L’adaptation en BD d’« Autant en emporte le vent », célèbre roman de Margaret Mitchell, prix Pulitzer 1937, confronte son auteur, Pierre Alary, à une triple gageure.
La première, celle de la fidélité, requise pour une adaptation, en bande dessinée comme au théâtre.
Nombre de scénaristes se contentent en effet de kidnapper une oeuvre du domaine public, de la triturer dans tous les sens, avant d’apposer le nom de l’auteur de l’œuvre originale sur la couverture, puis de proposer, avec la complicité d’un éditeur (le terme de margoulin est ici plus exact), un produit éditorial innommable — une sorte de bourbon vendu pour du single malt.
Secundo, l’adaptateur a dû affronter le « politiquement correct », qui relègue actuellement « Autant en emporte le Vent » dans l’Enfer de la Culture.
Puisqu’elle vaut toujours, reprenons la défense de Molière contre ses détracteurs puritains : - « Autant en emporte le vent » ne dit pas ce que la censure dit qu’il dit ; ce n’est pas un roman « sudiste », un roman cultivant la nostalgie des plantations de coton où les noirs s’échinaient à enrichir leurs maîtres.
Ce n’est pas non plus, d’ailleurs, un roman sentimental, encourageant le bovarysme.
La censure s’acharne parce que M. Mitchell n’a pas écrit une œuvre engagée, mais réaliste, qui contredit le roman national américain.
« Le tarif fut seulement un prétexte, écrit alors le président Andrew Jackson, la désunion, la confédération sudiste, l'objet réel. Le prochain prétexte sera le nègre, ou la question de l'esclavage. » écrivait ainsi A. de Tocqueville, dès 1835, prévoyant la guerre civile et le prétexte abolitionniste de l’Union.
La troisième difficulté de l’adaptation réside dans la concurrence d’une adaptation cinématographique (1939) par Victor Fleming (m. en scène) et Sydney Howard (scénario), si célèbre qu’elle a éclipsé le roman.
Si le film ne trahit pas le cynisme de M. Mitchell (cynisme assimilé au péché dans la culture américaine), il a l’inconvénient de se focaliser sur l’intrigue sentimentale et de reléguer au second plan la guerre civile (1861-1865), considérée comme « la première guerre industrielle ».
On ne peut juger de l’effort de P. Alary pour servir intelligemment l’œuvre originale, dans la mesure où un seul volume (144 p). est paru, sur les deux prévus. Cependant, malgré un dessin « américain », c’est-à-dire un peu trop académique, on peut dire à la lecture du premier tome que P. Alary n’a pas transformé le roman en guimauve sentimentale façon « Titanic ».
« Autant en emporte le Vent », par Pierre Alary et Margaret Mitchell, éd. Rue de Sèvres, 2023.