Le taux de participation d'environ 50% (25 millions de votants) aux élections européennes paraît élevé, compte tenu de la démonstration récentes par les Gilets jaunes de l'usage du scrutin comme une nasse. On doit compléter cette démonstration par le constat de la "neutralisation" des partis d'extrême-gauche et d'extrême-droite au niveau européen, c'est-à-dire de l'alternative qu'ils représentent pour leurs électeurs ; Marine Le Pen ne fait peur qu'à ceux qui sont conditionnés par les médias de masse à craindre un produit politique pasteurisé.
Le drame des migrants qui se noient par centaines en tentant de traverser la Méditerranée ou la Manche est avant tout la conséquence de la politique économique européenne ; l'hypocrisie des candidats est complète à ce sujet : l'extrême-droite fait de l'immigration une menace, et l'extrême-gauche fait de l'extrême-droite une menace, si bien que la politique économique européenne n'est pas ou peu remise en question. La propagande des institutions européennes, diffusée par les services publics, présente l'Union européenne - sans rire - comme une protection contre les conséquences néfastes de la mondialisation.
Ce taux de participation relativement élevé est principalement dû à l'effet de sidération des médias de masse, en particulier la télévision. Les investissements des oligarques français dans ces instruments de propagande que sont devenus les médias sont ainsi justifiés. Dans le même sens le commissaire européen Th. Breton fait beaucoup d'efforts pour tenter d'instaurer la censure sur les réseaux sociaux américains, qui procurent indirectement aux citoyens européens des moyens de réinformation.
La dimension orwellienne de la politique contemporaine est palpable dans cette confrontation des Gilets jaunes aux écrans sidérants ; elle les aussi à travers les discours sécuritaires tenus par les candidats, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche. La menace la plus consistante, en réalité, comme la pandémie l'a récemment souligné, est la menace d'effondrement de l'Etat capitaliste, dont l'érosion des services publics est l'aspect le plus visible. L'incapacité de l'Etat à se réformer est largement due à la structure démagogique des institutions.
George Orwell a bien décrit dans "1984" un Etat démagogique - Big Brother réclame en effet l'amour et la dévotion des citoyens d'Océania ; le pouvoir de Big Brother n'est que la somme des divisions qu'il suscite dans l'opinion, ce qui explique que Big Brother soit un Etat inerte, en voie de décomposition.
On peut, de fait, décrire la souveraineté populaire, en 2024, comme un principe sentimental d'attachement à l'Etat, quoi qu'il en coûte. Les Gilets jaunes observeront que, sur les 25 millions d'électeurs, une large majorité considère que l'Union européenne a trahi toutes ses promesses. Le scrutin a donc exprimé un sentimentalisme franco-français, de gauche ou de droite, avant tout ; cela explique peut-être l'indifférence de la jeune génération vis-à-vis de ce scrutin ; la jeune génération a des réflexes identitaires différents.
On a reproché à Emmanuel Macron de n'avoir tenu aucun compte des cahiers de doléance ouverts à la suite du mouvement des Gilets jaunes - il ne les a peut-être même pas consultés ; mais le rôle principal du chef de l'Etat est de subjuguer l'opinion publique, et c'est un rôle à plein temps ; pratiquement il ne s'adresse qu'aux 25 millions de votants qui lisent les journaux et regardent la télévision. Les Gilets jaunes ont eu raison de se placer en dehors du système, soulignant ainsi, non pas tant la violence de la répression, que l'absence d'opposition politique véritable au régime oligarchique. Le Pen et Mélenchon mobilisent leurs électorats sur des questions qui ne sont pas centrales.
Les Gilets jaunes et la jeune génération doivent faire ce raisonnement, orwellien, que le pouvoir politique pragmatique est anéanti par le système, et non par E. Macron qui n'en est que la tête d'affiche. L'attitude du Parlement est bien plus condamnable, qui depuis quatre ans a renoncé à toute opposition qui ne soit pas un simulacre d'opposition.
Si l'on estime que le bombardement de Gaza est d'une barbarie inouïe, à quoi servent les députés mélenchonistes qui expriment leur indignation, si ce n'est à faire croire que cette barbarie ne rencontre que l'opposition d'une minorité de Français ? De même à quoi ont servi les députés européens, français ou allemands, qui, tout au long de leurs mandats, ont protesté contre les méthodes mafieuses de gestion de la crise sanitaire par Ursula von der Leyen ?
Le Royaume-Uni voisin permet aux Gilets jaunes, c'est-à-dire aux représentants de la classe moyenne en butte au pouvoir oligarchique, de tirer une leçon supplémentaire : le Brexit -qui peut passer pour une défaite de l'oligarchie britannique- n'est en réalité qu'un simulacre de sortie du pacte de gouvernance européen. Le pouvoir des oligarques excède largement le pouvoir constitutionnel, en France comme au Royaume-Uni.
- L'effondrement du parti écologiste est une bonne nouvelle, car l'écologie politique est un piège à jeunes cons depuis les années 80. Il est bon que la jeune génération prenne conscience de deux choses : les représentants de l'écologie politique sont les premiers responsables de la radicalisation des jeunes écologistes, bernés depuis des décennies. Du point de vue capitaliste, que ce soit celui de Poutine ou du bloc adverse, la guerre stimule la croissance - elle est mathématiquement un bon calcul (dire qu'une économie est "mathématique" ou dire qu'elle est non-pragmatique revient au même).
La radicalisation des mouvements écologistes est-elle même une erreur : elle facilite le travail des médias de masse, contribue à doper le discours sécuritaire. Indirectement, les propagandistes du nucléaire, à commencer par le technicien J.-M. Jancovici, soulignent que l'écologie n'est pas un problème central mais la Guerre froide, par leurs efforts pour faire le bilan du nucléaire SANS évoquer son rôle économique central entre 1945 et 2024, comme si l'on pouvait dissocier le nucléaire civil du nucléaire militaire.