XII - François Caruajal, apres s’estre fait chef des rebelles du Peru, avoit maintes fois mis en desroute Diego Centeno, l’un des principaux chefs du party de l’Empereur. Mais il advint depuis que Gasca Lieutenant general de l’armée l’ayant fait son prisonnier de guerre, le meit soubs la garde de Diego Centeno, qui ne se souvenant plus du passé, luy fit toute sorte de bons traittemens. Decquoy Caruajal bien estonné : Chevalier, luy dit-il, qui estes-vous, je vous prie, qui me traittez si courtoisement ? Je suis Diego Centeno, luy respondit le Capitaine, ne me cognoissez-vous pas ? Nenny sans mentir, repartit Caruajal, car cy-devant j’ay bien accoustumé de voir vostre dos, que vostre visage m’est incognu.
XIII - Ce mesme Caruajal aagé de 75 ans, voyant qu’on le mettoit dans un tumbereau, pour le mener au supplice, Quoy ? dit-il, me veut-on mettre encore dans le berceau ?
XIV - Cresus interrogé par Cambyses, pourquoy la paix lui sembloit meilleure que la guerre ? Je l’estime ainsi, respondit Cambyses, pource qu’en temps de paix, les enfans ensevelissent leurs peres ; au lieu que pendant la guerre, les peres font les funerailles de leurs enfans.
XV - Un Capitaine envoyé contre l’ennemy, avec si peu de forces qu’elles n’estoient pas capables d’executer une si haute entreprise, s’en retourna vers son General, & le pria de reprendre la moitié des Soldats qu’il luy avoit donnez. Pourquoy donc ? luy demanda le General ; C’est, respondit le Capitaine, pource qu’il est meilleur que peu de gens meurent, que beaucoup.
Francis Bacon, trad. Jean Baudoin (1590-1650)