Quelle meilleure occasion que le Salon du dessin ancien, à la Bourse de Paris, pour évoquer l’aspect spéculatif de l’art, c’est-à-dire sa dimension religieuse ou psychologique ? Cet événement annuel, qui s’achève tout juste, est à la fois fascinant et instructif.
La crise, qui fait actuellement souffler un vent de suspicion à l’égard des élites, oblige plus que jamais à se montrer discret sur les transactions, suivant la coutume de ce Salon, où les prix ne sont pas directement affichés, puisque l'art est une marchandise mystique.
Comment comprendre et expliquer que certains de ces petits bouts de papier recouverts de griffonnages soient vendus des dizaines de milliers d’euros ? L’habileté des mains qui les ont tracés ne suffit pas ; seule la foi permet de combler l’écart entre le prix fort et le prix infini que la spéculation suppose.
On voit que la ressource religieuse que l’homme puise en lui-même est d’ordre infini, par-delà la nature. Les mondes virtuels sont les cathédrales modernes, remplies de songeurs éveillés. Les valeurs esthétiques de la bourgeoisie libérale traduisent une métamorphose analogue à la fin de la suprématie des nombres entiers dans l’enseignement des mathématiques, dont le «nombre d’or» 666 (pour définir la structure des structures cosmologique).
Psychologiquement, l’homme moderne se sent plus puissant que la nature : c’est dans ce sens qu’on peut le dire "athée". A ce sentiment d’hyper-puissance, une très grande fragilité est liée, puisque l’espoir et l’art son cotés en Bourse.
C’est une exposition qui permet aussi de comprendre que la tradition et la modernité sont indissociables, comme tenon et mortaise. La crise obstrue l’avenir, dont il faut dire que les Français ont une tendance naturelle à se méfier, bien plus que d’autres peuples : la nature de leurs investissements artistiques le prouve. L’investissement dans le passé est une caractéristique française ; elle traduit plus de raison que de foi.
On peut déduire des opérations juteuses lors de cette foire au dessin ancien, au moment où les slogans sur les lendemains qui chantent de l’élite ont du plomb dans l’aile : les valeurs du passé retrouvent une part de leur séduction et de leur fonction d’étalon. Décidément, le Français est un cheval.
*Illustration: "Matrix 1", dessin d'Antony Gormley