Les précédentes BD de Guy Delisle font penser aux albums de Tintin, tant sur le fond que sur la forme. Hergé égratigne au passage certains régimes totalitaires (URSS, Japon, Amérique...), mais occulte le pillage meurtrier des richesses du Congo par la Belgique ; de même le Québécois G. Delisle propose un angle de vue assez étroit sur Israël, la Corée du Nord ou la Birmanie.
Pas besoin, en effet, d'être abonné au "Monde diplomatique" pour comprendre que le régime nord-coréen fait office d'épouvantail bien pratique.
Même impression, lorsque je lis une chronique de Bernard-Henry Lévy dans "Le Point", qu'il s'agit d'un scénario de BD pour ados. Le propos est clair et net comme de la propagande bien ficelée, mais les opinions et principes manichéens du philosophe globe-trotter affleurent partout.
Comme le style de Hergé, celui de Guy Delisle est assez peu personnel, au service d'une narration cinématographique bien huilée. L'usage d'un camaïeu de gris par Delisle pour donner du relief à son dessin renforce l'impression que la narration prime sur tout le reste. Dans "S'Enfuir", Delisle n'illustre pas sa propre expérience, mais celle d'un ex-otage, Christophe André, qui fut capturé par des nationalistes tchétchènes lors de sa première mission pour le compte d'une ONG.
G. Delisle parvient à transformer le témoignage de Christophe André sur ses longs mois de captivité en récit à suspense : - oui ou non, l'otage parviendra-t-il à s'évader ? (dès le début, le lecteur sait qu'il survivra).
Il parvient aussi à faire partager au lecteur cette expérience hors du commun - l'angoisse, la révolte, la honte, la détresse provoquée par l'attente interminable, tous ces sentiments mêlés éprouvés par l'otage. Mais c'est au prix de longs, très longs développements. La BD, épaisse, aurait pu compter plusieurs dizaines de pages en moins si Delisle s'était contenté d'illustrer les événements marquants qui ont émaillé la captivité de Christophe André. Mais, comme celui-ci était strictement isolé et attaché dans une pièce close pendant les très long mois qu'a duré sa captivité, le sentiment d'anéantissement domine et les pages sont redondantes, l'auteur tire à la ligne.
On finit par se dire qu'être otage, c'est chiant comme l'art séquentiel, particulièrement adapté pour rendre compte de cette situation.
Ou encore la BD de Delisle évoque ces films de genre, dans lesquels on fait sursauter de peur un public consentant à l'aide d'un claquement de porte ou d'un craquement de branche soudain. A propos des nationalistes tchétchènes, du rôle des ONG, de tout le contexte de l'enlèvement, y compris son mobile exact, on n'apprend rien. Ce traitement minimaliste et cinématographique finit par être irritant ; une fois la BD refermée, on a l'impression d'avoir été l'otage de Guy Delisle.
"S'Enfuir", par Guy Delisle, eds Dargaud, 2016.