Le "rêve européen", vu de l'étranger, par le caricaturiste Ali Dilem.
+ Encore une tentative de mettre le dessin de presse au service de la propagande européenne. Nous avions déjà cité dans cette revue de presse (n°138) l'effort du technocrate européen Thierry Vissol il y a un an, et de Guillaume Doizy ("Caricatures & Caricature"); Nicolas Vadot récidive avec l'exposition "Ceci n'est pas l'Europe! - 120 caricatures d'actualité", dont ce caricaturiste belge est commissaire (ainsi que vice-président de l'asso. "Cartooning for peace"). N. Vadot se livre à un plaidoyer vibrant pour l'Europe sur le site "Caricatures & Caricature" ; arrêtons-nous sur un seul point : l'Europe aurait un but pacifique, selon N. Vadot, qui présente cette assertion comme une "vérité". Pourtant il n'y a pas besoin d'avoir un esprit satirique très développé pour observer que le principal mobile de la construction européenne, suivant un modèle technocratique, est d'ordre économique - celui-là même qui a conduit les nations européennes à s'affronter dans des guerres totales au XXe siècle pour le partage des ressources coloniales et de territoires à la mesure de leur expansion industrielle. Quelle meilleure preuve que la crise actuelle ? Celle-ci montre que, quand le capitalisme vacille, l'idée européenne chancelle et les leaders populistes n'ont aucun mal à discréditer cette entreprise titanesque. La propagande européenne n'est donc qu'une des facettes de la propagande capitaliste, relevant du pari sur l'avenir le moins scientifique qui soit.
On peut bien sûr se moquer des détracteurs de l'Europe, les caricaturer (l'Europe n'a certes pas inventé la bureaucratie, qui existait avant elle), cependant l'Europe se prête mieux à la satire, à commencer par son mépris des principes démocratiques, alors même que le mot "démocratie" est sur les lèvres de tous les dirigeants européens.
"L'idéal européen" n'est pas sans évoquer deux fanatismes religieux modernes, cousins germains : la démocratie-chrétienne et le stalinisme. Chez A. de Tocqueville, l'espoir de progrès placé dans "la démocratie en Amérique" est tempéré par une bonne dose de scepticisme ; Tocqueville se demande ainsi comment l'Amérique pourra s'affranchir du mobile mercantile qui fut la première cause des Etats-Unis.
+ La dernière "Une" de "Charlie-Hebdo" (signée Coco), brocardant le pro-fête Cyril Hanouna, animateur d'une émission quotidienne à succès, "Touche pas à mon poste", dédiée aux "enfants de la télé " ("Direct 8"), a déclenché une controverse dans les médias et sur les réseaux sociaux. On peut y voir une reprise par "Charlie-Hebdo" de la critique de la "société du spectacle" ou du consumérisme. Michel Onfray s'en est pris lui aussi récemment à l'animateur de télé, l'accusant d'être une cause du djihadisme. Cyril Hanouna avait répliqué en accusant Michel Onfray d'islamophobie ; il a préféré répondre à "Charlie-Hebdo" sur le ton de l'humour. On pointe un peu facilement le populisme du doigt, en ce domaine comme en d'autres ; il n'est jamais que le produit d'un élitisme dévoyé.
+ Le dessinateur finlandais Ville Ranta veut devenir français, au-delà de l'aspect purement policier de la nationalité, parce que la France est le pays des caricaturistes. Il décrit dans son blog dessiné le processus de cette métamorphose incertaine. En effet il n'est pas si aisé pour les Français eux-mêmes de savoir qui ils sont. Il leur faut parfois voyager à l'étranger pour le découvrir. Un précédent peut nous éclairer, celui du philosophe F. Nietzsche, qui répudia sa culture et ses origines allemandes pour "devenir Français ou Italien", admiratif de la faculté de jouir de ces deux peuples, qu'il n'accorde pas aux Allemands, plus féminins et tourmentés, ayant le goût des choses macabres, tristes et romantiques - on dirait "gothiques" aujourd'hui. F. Nietzsche définit les Français et les Italiens comme étant réactionnaires, et les Allemands modernes. Le poète Baudelaire, au contraire, bien que Français, exprima son dégoût des Français, qu'il trouvait trop "voltairiens", ce qualificatif décrivant un manque de spiritualité.
La "liberté d'expression" est-elle un principe français ? Les Français sont sans doute trop pragmatiques pour croire la liberté possible sur le plan politique. En revanche les Français sont plus individualistes que d'autres peuples, et acceptent moins bien que l'Etat ou ses représentants leur disent ce qu'il faut penser.
La Tour Montparnasse, croquis tiré du blog de Ville Ranta.